Août 1914

Mercredi 5 août – 5h30
Mobilisé depuis dimanche 2 août, impossible de trouver un moment pour consigner les faits.
Tension entre l’Autriche et la Serbie pour des raisons déjà oubliées. L’Allemagne ne prend pas parti officiellement. La Russie mobilise certains corps sur la frontière autrichienne, mais les ambassadeurs sont encore à leurs postes.
Le 31 juillet, l’Allemagne déclare la guerre à la Russie.
Le 1er août, la France, qui suit attentivement les événements, lance un ordre de mobilisation générale.
1er jour de la mobilisation – 2 août.
La mobilisation s’effectue avec le plus grand ordre. Le mercredi 5 août à 21 h 57, après un parcours des cantonnements à la gare de Vannes, à travers une foule enthousiaste et sous les acclamations, l’EM du 316 et le 5e Btn quittent Vannes.
Voyage nocturne. Rien à signaler d’abord. Au jour levant, nous sommes au-delà de Nantes. À 6 h ½ halte repas à la Poissonnière. Reprise du voyage. Saluts et acclamations des populations sur le passage du train. À Condé s/ Huisme, une fillette apporte une gerbe de dahlias qu’elle remet au Colonel Le Camus du 1er Colonial, qui commande le 316.244_001

Jeudi 6 août – 18 h 30
Halte repas à Rambouillet.
Arrivée à Paris Vaugirard. Le Btn cantonne pour la nuit à l’Ecole Mre dans les manèges de l’îlot Fontenoy. Je suis logé au 12 Bd de Latour Maubourg. À 10 h nous allons partir pour Aulnay les Bondy où le régiment cantonnera.

Vendredi 7 août – 7h40
Je viens de pousser jusqu’à l’Ecole Mre. Tout se passe bien. Les rues de Paris sont absolument calmes. À cette heure matinale, on ne voit guère que des soldats et des véhicules automobiles.
Il pleut. Notre marche sur Aulnay va être humide.
Les nouvelles reçues ce matin confirment l’énergie des Belges. Les Allemands ont trouvé à Liège une résistance acharnée dont ils paraissent avoir triomphé, mais qui les retarde sérieusement et va donner le temps à nos troupes de venir s’opposer plus complètement à leur mouvement et, j’espère, les rejeter au delà de la Meuse.
Les journaux publient une proclamation du Gal Cdt le IX Corps allemand aux Luxembourgeois. Il prétend justifier son passage au Luxembourg, par une violation de notre part, de ce territoire. Les Allemands ne reculent devant aucun mensonge, même flagrant comme celui-là, pour essayer de nous faire endosser des responsabilités qui leur incombent, à eux seuls. Mais, patience ! J’ai la confiance que de beaux jours vont luire pour les Armées françaises.
Marche du 316 sur Aulnay sous Bois. Départ de l’Ecole Militaire à 10 h 15. Itinéraire = Boulevard Latour Maubourg. Pont des Invalides. Avenue d’Antin. Fg St Honoré ?? Rue de Courcelles. Bd de Courcelles. Les Batignolles [… ].
Arrivée au cantonnement sous la pluie. Installation pénible et longue en raison de l’inexpérience du personnel du campement.
Allé jusqu’à la Brigade (Ecole Dugesclin) où j’ai présenté mes respects au Gal Delarue, Cdt de la 121e Bde. Nous faisons partie de la 61e Dion (Gal Virvaire).

Samedi 8 août
Installation du bureau du Colonel, de l’officier de détails, de l’officier d’approvt, dans le même local. Avantages sérieux pour le travail. Les compagnies complètent leur installation.
Nous apprenons officiellement que nos troupes sont entrées en Belgique pour soutenir les Belges dans leur résistance contre les Allemands. J’espère bien que nous ne nous contenterons pas de résister mais que l’offensive va être poursuivie. D’ailleurs, un mouvement en avant se dessine un peu sur toute la ligne : des fractions de nos troupes sont signalées à Vic s/ Seille et à Moyen Vic puis en Alsace au-delà de Montreux-Vieux. C’est la prise de contact avec les avancées de l’adversaire. Qu’y a-t-il derrière ? Nous le saurons par la bataille, qui me semble prochaine. Hélas ! Et nous sommes « garnison du camp retranché de Paris ». Pourvu qu’on ne nous laisse pas là !

Dimanche 9 août
J’envoie à Vincennes le Sous-Lieutt Gravrand, chef du Sce téléphonique, toucher 2 sections de mitrailleuses attribuées en supplément au 316.
Nos mitrailleuses normales (5e et 6e sections) sont restées à Vannes avec les équipages du régiment et n’en partent que le 9e jour, c’est-à-dire demain.
18h. Mon matériel des S.Mits de supplément est arrivé, je l’ai fait placer dans un magasin abandonné et fermant à clefs.

Lundi 10 août
Rien de bien important. Nous apprenons que nos troupes, sans doute le 21e corps, se sont emparées des cols des Vosges entre St Dié et l’Alsace. Donc, l’offensive continue.

Mardi 11 août
Mulhouse a été évacué par nos troupes devant une offensive allemande qui a été arrêtée devant des emplacements renforcés.
Les équipages du 316 nous rejoignent à Aulnay.
Le Gal Mercier-Milon, inspecteur des forces mobilisées dans le camp retranché de Paris, a visité dans la matinée les cantonnements de la 61e division.

Mercredi 12 août
Promenade à cheval vers Livry – Conbroz – Faujeurs. Routes dures. Où sont nos landes bretonnes si douces aux membres des chevaux ?
Nous n’avons toujours aucune nouvelle des nôtres. Les lettres ne nous parviennent pas. Ces jours derniers, une dépêche jaune, partie le 7 de Vannes est arrivée à Aulnay le 10 au soir. Cet isolement est bien désagréable.
Touché le 9 mon ind d’entrée en campagne. 700 francs.
Acheté le 10 une sacoche d’E.M. 20f
le 11 une jumelle Huel – 95f

Vendredi 14 août
Revue à 6 h des 61e et 62e Divon par le Gal Mercier-Milon, inspecteur des forces mobiles du camp retranché de Paris. Cette revue est passée au N. du Bourget ; les troupes défilent ensuite devant le monument.
Je reçois par M. le Lieutenant Vallantin, venu de Vannes, la première communication de ma famille depuis mon départ : un paquet contenant mon bonnet de police, mon gaufre à moustache et 2 paires de chaussettes. Le soir, je reçois une dépêche de Jeanne me disant que toutes mes lettres lui parviennent et qu’elle m’écrit tous les jours. Or je n’ai reçu aucune lettre depuis que j’ai quitté Vannes.

Samedi 15 août
Repos. Je vends au Dr Laferriere ma vieille jumelle pour la somme de 5 francs. Il paraît qu’elle lui suffira.
Bridge au café de la Gare – 6

Dimanche 16 août
Dimanche ; mais pas repos ; Je reçois de Jeanne une première lettre par la poste. Tout va bien à Vannes. Cette lettre a été mise à la poste le 12, donc 4 jours de trajet. Heureux de savoir que tous mes chéris se portent bien. Les journaux de ce matin annoncent que nous sommes[1] à Thann (Alsace) et que les nôtres ont repoussé un corps bavarois au delà de Lunéville. Combats, mais non bataille.
Les troupes d’Afrique (zouaves, tirailleurs, artillerie) passent ici depuis trois jours sur la ligne du Nord. Il est vraisemblable qu’ils se dirigent vers la Belgique. Tout fait prévoir que ce sera sérieux de ce côté là.
Nos des billets de 50f envoyés à Jeanne aujourd’hui
703 – F3621 – 26-7-1909
[… 8 billets en tout]

Lundi 17 août
Nous sommes sous le coup d’un départ imminent : les vivres de chemin de fer et de débarquement sont distribués ; nous devons verser les cartes de la région de Paris demain matin.

Mardi 18 août
Départ momentanément retardé (note confidentielle). Une auto est mise à la disposition du Colonel par le Gouverneur de Paris. Reçu de Jeanne une lettre mise à la poste le 14.

Mercredi 19 août
Je vais à Paris en auto pour quelques courses ; au retour, perception de 220 kgs de tabac à la Manufacture de Pantin. Le Directeur nous offre des cigares.
Nous avons reçu ce matin une collection de cartes allant de Dunkerque à Mâcon, plus des cartes de la Belgique et de l’Allemagne. En somme, nos cartes comprennent tous les théâtres d’opérations du Nord, Nord Est et Est. Ce n’est pas cette distribution qui pourra nous renseigner sur notre destination.

Jeudi 20 août
Notre départ semble reculé assez loin ; voilà qu’on nous donne l’ordre de faire du tir à la cible au fort de Rosny jusqu’au 25. Ce n’était pas la peine de nous retirer nos cartes de Paris : nous voilà obligés de manœuvrer en aveugles.

Vendredi 20 août
Les Allemands marchent sur Bruxelles ; leur cavalerie y est déjà. Que signifient ces mouvements ? Nous sommes sans indication sur nos propres mouvements en Belgique où nous devons avoir cependant de grosses masses. Il y a là un certain mystère, mais je continue à avoir confiance dans notre Commandement de ce côté là.

Lundi 24 août
À 4 h, je suis réveillé par un planton porteur d’un ordre de départ prochain. Il faut s’attendre à un ordre définitif dans la journée.

Mardi 25 août
Le régiment s’embarque en deux éléments à la gare de Goussainville et est dirigé sur la gare régulatrice de Longueau. Départ du 1er élément de la gare de Goussainville à 15 h 12 (EM et 5e Btn). 6e Btn à 18 h 42.
Au passage à Longueau, nous recevons un bulletin de fin de parcours pour Arras où nous débarquons vers 23 h. Cantonnement à la citadelle, quartier Turenne (3e Génie).  Dans le trajet, nous croisons au moins 150 locomotives qui refluent vers le Sud. Sont-elles belges ou françaises ? Nous n’en savons rien.

Mercredi 26 août
Départ d’Arras à 6 h 20, dans la direction de Douai. En arrivant à Gravelle (10 km est d’Arras) ordre de bivouaquer au sud de la route nationale Arras-Douai. Toute la brigade est bivouaquée autour du village de Gravelle. Dans l’après-midi, cantonnement bivouac à Gravelle.
À 20 h, au moment où j’allais me coucher, on vient me chercher pour aller à l’EM de la Brigade prendre les ordres. Toute la Division va refluer sur Arras, puis sur Bapaume. Un Btn du 316 accompagnera les Trains regres; l’autre Btn, avec le Colonel est chargé de tenir Arras et de couvrir l’embarquement de la 82 Dion Tale. Nous partons vers 22 heures, et arrivons à Arras à 2 h 15 le 27, par la pluie.

Jeudi 27 août
Le Btn est placé aux abords de la Gare ; je suis détaché au Bureau de poste pour y recevoir éventuellt les communications de la 61e Divion. Mais avant de prendre mon poste je vais à la gare voir à quelle heure s’embarquent les éléments de la 82e Div Terrale. La gare n’en a aucune nouvelle. J’ai passé la nuit blanche et je m’endors pendant une heure sur une chaise du Bureau de Poste. Puis je descends dans la rue où passent d’abord deux cavaliers allemands blessés, puis une quinzaine de prisonniers. La foule les hue d’une façon ignoble. La foule est idiote.
L’EM du Gal d’Amade, qui était ici me semble filer vers le sud.
Hier les 26, 27 et 28 Terraux , plus les batteries Terrales du 44 d’artillerie me semblent avoir écopé sérieusement au cours d’un combat du côté de Cambrai. Exagéré. Je crois qu’ils ne tiennent pas.
7 h Rien de nouveau. Aucune nouvelle de l’embarquement de la 82e Don Tale.
8 h Le colonel, qui a vu le Gal d’Amade est autorisé à quitter Arras et à rejoindre la Divon en marche sur Bapaume.

ArrasVu dans la matinée l’Hotel de Ville d’Arras sur la Petite place ; bijou d’architecture gothique flamande. Régal des yeux.

 

 

Effectivement, sous une pluie battante et un violent orage, nous atteignons l’Arr. Gale à 5 h environ au N. de Baupame. Vers le soir, après un engagement à l’Est de la route, où le 316 n’a pas donné, le canon se fait entendre de nouveau. De l’infanterie sort de Flers, où on vient d’arriver (316 – 264). Le 316 se déploie, mais n’a pas l’occasion – du moins je le crois – d’ouvrir le feu. À la nuit noire, le 316 rentre à Flers […] et cherche à s’y installer au lieu d’aller à Ginchy et à Lesbœufs. Gros encombrement à Flers, trains et convois, troupes. Il faut se résigner à rester dans une abstention de repos et de sommeil complète. À 1 h le Colonel fait refluer vers le N.O. Les troupes et les convois qu’on peut réunir. Arrivée à Eaucourt l’Abbaye.

Vendredi 28 août
Vers 3 h nous recevons un ordre prescrivant la remise en marche de la troupe vers Flers et Ginchy ; la Division (réduite à la 121e et à l’AD) va attaquer l’ennemi et essayer de reprendre Combles qui nous a été enlevé dans la soirée de la veille.
Le 316 reçoit comme mission 1° d’avoir 2 Compagnies en soutien d’artillerie vers la côte 154 (Est de la route Flers-Guinchy) pour 4 h 30.
2° de rassembler le reste du Rgt dans le ravin Ouest de Flers.
Les Cies Dupont et Bronnen (18e et 19e) essaient de se rendre à leur emplacement mais, dans le brouillard, elles perdent du temps et finissent par utiliser la route de Flers à Ginchy puis celle de Ginchy à Lesboeufs. Je me rends à Ginchy près du Gal de Brigade.
Dès que le brouillard se dissipe, vers les 7 heures peut-être (je n’ai pas songé à prendre l’heure), les unités de 264, déployées, se portent dans la direction de Ginchy. L’artillerie s’est installée, le groupe du 28 à gauche, le 51 au centre, le 35 à droite. Le feu est ouvert de part et d’autre. Sur le village de Ginchy où je me trouve avec les Gaux Virvaire et Delarue et leurs EM, les obus pleuvent. Vers 9 heures la rue où nous stationnons est littéralement enfilée par les obus. Le Gal Delarue est blessé à l’oreille par un éclat. Le combat se poursuit entre l’infanterie placée sur la lisière E de Ginchy et les mitrailleuses de l’ennemi et entre les 2 artilleries.

Il y a la des péripéties diverses difficiles à enregistrer. Un Lieutenant du 11e Chasseur (Vesoul) vient se mettre en relation avec le Gal d’Amade qui vient d’arriver à Ginchy en auto-mitrailleuse. Il apporte des nouvelles du 7e corps qui débarque dans la région d’Amiens.

Nos troupes commencent à évacuer Ginchy. Je me porte en arrière avec le Gal Delarue vers Guillemont ; nous trouvons sur le chemin le corps de son cheval tué d’un éclat d’obus. La route de Ginchy à Guillemont est sillonnée de balles venant obliquement du Sud de Ginchy. Un talus nous protège sur la plus grande partie de notre parcours ; nous retournons ensuite à Ginchy ; puis nous revenons à Guillemont ; cette navette dure plus d’une heure ; nous contournons par l’ouest le village de Ginchy. Enfin, vers 15 heures, nous quittons Guillemont pour aller à Longueval, où nous restons un certain temps à la lisière Sud du bois de Delville. Vers 15 h ½, nous rentrons à Flers trouvant sur notre route des débris de toutes sortes, équipements, caissons, chevaux morts, effets d’habillement, etc. À Longueval, l’ordre a été envoyé au 316 de prendre position au SE de Flers pour soutenir la retraite des troupes de Ginchy. Quand le Gal et moi arrivons à Flers, le mouvement s’effectue.

À mon arrivée, je ne retrouve plus mon cheval. Dans la soirée vers 6 h nous nous mettons en route sur Martinsart, petit hameau où nous arrivons vers minuit. J’apprends en route que Bronnen a été tué, que Maquard a été vraisemblablement pris la veille en se rendant de Flers à Bapaume avec un fourgon et un sergent. Cela sera à vérifier, car nous n’avons aucune nouvelle de nos trains.

Le mouvement de retraite s’est effectué sous la protection de la Ge S. Mitr qui a trouvé le moyen de faire avec un calme qui fait honneur à son chef (Ss Lieutt Le Roy) un tir très ajusté mais dont l’effet ne peut pas être contrôlé.
Marche toute la soirée et une partie de la nuit pour aboutir à Martinsart, petite localité où sont entassées des troupes nombreuses, infanterie et artillerie, celle-ci restant attelée dans les rues du village.

Carte-1914-08-28

Mvts du 28 août 2014

Ce combat du 28 août suggère les observations suivantes :
L’engagement a lieu avec une intention d’attaque qui comportait une manœuvre qui n’a pas eu lieu. Le combat a été mené exclusivement de front, sans attaque sur les flancs ; il devait forcément échouer dans ces conditions. On ne force pas une position défendue par des mitrailleuses et des canons, sans qu’au moins une menace se produise sur un flanc.
Les troupes de réserve, dont c’était le baptême du feu, se sont en général montrées calmes, sans beaucoup d’élan mais sans défaillance notoire. Il y a eu sans doute des défaillances individuelles, mais qui n’entachent pas la masse.
L’artillerie ne paraît pas avoir eu la préoccupation d’aider son infanterie en cherchant à museler les mitrailleuses blindées des Allemands. Qques obus explosifs bien placés eussent rendu les plus grands services.
On a rapporté que l’artillerie française a tiré sur nos propres troupes ; ce fait expliquerait les pertes subies par la 19e Cie du 316 et le groupe du 28e d’Art qui a perdu tout ses canons.
Les généraux sont beaucoup trop près de la ligne de feu ; ils sont restés toute la matinée, sous les obus, dans le village de Ginchy ; leur place était beaucoup plus en arrière. Il est résulté de cette erreur dans le choix du poste de commandement que l’action n’a pas été « conduite ».

Samedi 29 août
À 2 h, c’est-à-dire après un sommeil d’une heure environ, nous repartons vers l’ouest pour continuer à nous dérober à l’ennemi. Pourquoi ? Nous n’en savons rien ; il me semble pourtant qu’une offensive bien conduite, avec manœuvre, nous aurait permis d’avoir raison de nos adversaires. Nous nous portons par Bouzincourt. Senlis. Warloy. Baillon. Vadencourt. Contay sur Beaucout s/ l’Hollue.
Nous y arrivons vers midi. Je suis logé avec le Colonel au château donc le propriétaire est absent (sans doute mobilisé). Je m’occupe d’y faire faire le déjeuner. À 14 h, au moment où nous nous mettons à table, nous recevons l’ordre de repartir à 15 h vers le Sud-Ouest.

1914 chateau-beaucourt-sur-l'hallue

Chateau Beaucout s/ l’Hollue

Nous marchons par Molliers au Bois, Rainneville, Coisy sur Poulainville, où nous cantonnons à la nuit close. Avant postes vers le N.E.S. fournis par 2 compagnies. À 23 h 30, au moment où nous finissions de dîner, le Général de Brigade fait appeler le Colonel du 316 et son adjoint, pour donner l’ordre de partir à minuit 15 sur Longpré. Montières, Ferme de Grâce où la 121 Brigade doit se rassembler. Le Colonel est désigné pour prendre le commandement provisoire de la Brigade en remplacement de Gal Delarue nommé à titre provisoire au Commandement de la 61e Division dont le chef (Gal Virvaire) a été atteint dans la journée d’hémiplégie.

Dimanche 30 août
Comme personne n’a dormi, à l’arrivée de la Brigade à la Ferme de Grâce vers 3 h ½ ou 4 h, le Colonel et ses deux officiers d’état-major se blottissent dans les meules de paille et s’endorment profondément. Je reste donc seul chargé de faire exécuter le rassemblement. Nous passons là toute la matinée, mais j’ai la satisfaction de retrouver mon cheval dont je suis privé depuis deux jours. Le malheureux a dû errer assez longtemps et a fini, paraît-il, par échouer au 265, dont le Lieutenant-Colonel Tesson, démonté le 28, monte mon Généreux toute la journée du 29.
Partis du rassemblement vers 10 h, nous formons une colonne mal organisée, où les à coups se succèdent, où les ordres et contre-ordre pleuvent (malgré la chaleur), bref une pagaille. Nous finissons cependant par arriver à 19 h au village de Bougainville par […].
1914-Ville-BougainvilleÀ Bougainville, nous pouvons pour la 1ere fois depuis 5 jours faire un repas assez sérieux. Bien plus, les cantines sont annoncées. Joie ! On va pouvoir changer de linge et se raser. Hélas ! La mienne n’y est pas ; je dois donc rester barbu, porter du linge sale et renoncer à faire cirer mes chaussures. Malgré tout, il m’est permis pour la 1ere fois depuis le 25 août de me déshabiller et de [me] mettre dans un vrai lit. Le colonel me prête une paire de chaussettes.

Lundi 31 août
Mais ce n’est pas pour bien longtemps puisque je suis réveillé à 2 h 30 par le Colonel, qui habite la chambre voisine. Des ordres viennent d’arriver. Il faut partir à 4 h pour aller embarquer à Alancourt. Itinéraire : […] où je rencontre le Gal Vigy. M. le Lieutt Vignal est remplacé dans ses fonctions de porte-drapeau par le Ss Lieutt Bratineau. À partir de Zoix, la route est encombrée de troupes, regt d’infanterie territx […] artillerie nombreuse, trains etc. Nombreux à coups, arrêt d’une heure ½ pour grand’halte, puis peu après nouvel arrêt de 3 heures. Après mille difficultés, arrivée à la gare d’Alancourt, où le Rgt s’embarque immédiatement dans un seul train ; les hommes sont empilés dans les voitures, sur les plates formes, dans les wagons à chevaux, etc. Les officiers sont 10 dans les compartiments de 6 places et sans lumière. Enfin après un trajet par […].

Carte 1914-08-31

Mvts du 31 août 1914

[1] nos troupes

Septembre 1914

Mardi 1re septembre
1914 Ville LivilliersCantonnement à Livilliers ([…] de Pontoise). Travaux de propreté et repos pour la troupe. Nous changeons de linge (du moins ceux qui ont le bonheur d’avoir leur bagages). En ce qui me concerne, je fais acheter à Pontoise une chemise et un caleçon, pour 5 francs. Fatigue. Location de voitures. Sacs dans les fossés.
Nos troupes cèdent constamment le terrain devant les Allemands, qui sont maintenant au Sud d’Amiens, très probablement. Pourtant au moins 100 000 réservistes et territoriaux se retirent sans opposer de résistance à ce flot qui monte. Que cachent ces faits ? Sommes-nous impuissants, ou est-ce une tactique ? Dans tout les cas, je crois que les Allemands seront devant Paris avant 8 jours ; et alors ? Je n’ose penser plus loin. Les habitants fuient l’invasion, plutôt que de s’exposer aux férocités allemandes, et franchement on ne peut les en blâmer. L’exode se fait vers l’ouest, région où l’on espère le calme.

Mercredi 2 septembre
Réveillé à 1 h par un planton apportant de la Division l’ordre de fournir des états pour 6 h. Décidément, le repos n’est pas fait pour les paperassiers. Repas à Livilliers. Nos hôtes sont partis ce matin pour le Havre (1 femme et son fils de 4 ans, plus la belle-mère) nous laissant des vins fins  qu’ils aiment mieux nous faire consommer que de les laisser aux Allemands.
Le train de combat est arrivé ce matin par voie de terre, venant d’Amiens par Beauvais. J’ai enfin retrouvé ma cantine, ce qui m’a permis de changer de linge. Je reçois 13 lettres ou cartes et j’apprends les blessures du Gal Duroisel […].

Jeudi 3 septembre
Départ à 6 h
de Livilliers pour Boissy l’Aillerie (EM et 5e Btn) et Montgeroult 6e Bn. Construction de tranchées face au Nord. Organisation de positions avec le concours de la ½ Cie Divre du Génie.
1914-exodeExode lamentable des habitants de la région vers l’Ouest. La route est pleine de voitures de toutes sortes qui transportent les gens, le matériel, la literie, etc. Nous sommes honteux de nous faire voir à tout ce monde, qui peut dans une certaine mesure, nous croire responsables de l’arrivée si rapide des Allemands. Les troupes sont autorisées à 17 h à rentrer dans leurs cantonnements.

Vendredi 4 septembre – 7h
Le travail de défense est repris à partir de 5 heures. Je m’installe à la Mairie de Boissy pour y travailler. Travaille jusqu’à 6 h ½ du soir sans arriver à mettre à jour mon journal des marches et à établir le compte-rendu du combat du 28.

Samedi 5 septembre – 7h
Partis à 5 h de Boissy l’Aillerie, en colonne de Divion à partir de Puiseux jusqu’à Pontoise. Là, 2 colonnes, à droite la 121e Brigade passe par St Ouen l’Aumone […] où le 316 cantonne.
Rencontre sur la route les rgts territoriaux du 9e corps. 72. 71. 70. Ce dernier à Ecouen et au Mesnil Aubry, où je trouve un caporal habitant Doué la Fontaine (agent du coiffeur, à poste fixe). Il connaît la famille de Michel et les Dima.
Arrivée au Mesnil vers 6 heures du soir. Pendant le dîner, arrive le Lieutenant Maquard disparu depuis le 27 août ; il a suivi les formations sanitaires de la 61e Divion.

Dimanche 6 septembre – 7h
Parti à 6 h du Mesnil Aubry […]. Rassemblement vers 10 h en colonnes. Colonnes doubles à gauche de la route du Mesnil-Amelot, la tête à la route d’Epiais, l’Artillerie entre les 2 Btns du 316.
Vu passer des trains de combat de Zouaves et de tirailleurs. TR du 7e corps et convois administratifs.
À 11 h 40 rupture du rassemblement et marche sur le Mesnil-Amelot.
On a entendu la canonnade toute la matinée dans la région de l’Est. À 13 h nouveau rassemblement à l’ouest du Mesnil-Amelot. La canonnade s’est tue. Nous restons au Mesnil-Amelot jusqu’à 18 h ¼, heure à laquelle nous sommes dirigés 5e Btn sur Compans, EM et 6e Btn sur Mitry-Mory où nous arrivons à la nuit close. Tous les villages de cette région sont abandonnés ; les habitants ont fui, y compris les municipalités.
Le bruit court avec persistance que les Allemands ont été étrillés  vers Meaux. L’offensive générale aurait été reprise contre eux ce matin, et plusieurs villages, notamment […] leur auraient été enlevés à la baïonnette.
Un incendie se déclare dans le village.

Lundi 7 septembre – 7h
Partis à 2 h de Mitry pour s’embarquer à la gare de Mitry. Départ de Mitry-gare à 4 heures. Débarquement à l’Ouest de Nanteuil à 5 h 45.
Le 5e Btn, parti de Compans, a débarqué à 5 h 40.

Carte-1914-09-06-

Mvts 6 septembre 1914

-de 6h à la nuit
Le Rgt se porte en colonne de colonnes doubles largement ouvertes sur Villers St Genest, 5e Btn en tête, 6e en queue.
Le Rgt perd 10 officiers dans la journée. Toutes ces pertes se sont produites à l’attaque du bois de Montrolles.
Cdt Vuarnet disparu (prisonnier)
17e Capne Kappler tué
Lieut Leblond, blessé
18e Capne Dupont, disparu, probablement tué
20e Capne Monconduit, gravement blessé
21e Lieu Lebal, disparu (aurait été tué)
22e Capne Vannier, blessé
23e Capne Chopard, blessé
Lieut Guezel, gravement blessé
24e Ss Lieut Raimbault tué (non, prisonnier paraît-il, note du 28 octobre)
À la nuit close, je rallie dans l’obscurité un certain nombre d’éléments du 316 et nous nous dirigeons vers Nanteuil, dans une cohue d’infanterie et d’Artillerie qui rend la marche très pénible.
Le Colonel n’a pas rejoint ; il a passé la nuit dans une autre localité, probablement Boissy ou Frenoy.

Mardi 8 septembre – 7h
Le Rgt a passé la nuit au bivouac au NE de Nanteuil. Départ à 5 h.
Combat toute la journée vers Villers Ss Genest.
Le soir, le 265 et le 264, qui se sont emparés du bois de Montrolle, sont repoussés par une vive contre-attaque. Le 316 n’a pas bougé de la journée à l’O. de Villers où il était à la disposition du Gal de Divion.
Bivouac à l’ouest de Villers.
Je passe la nuit, avec le Gal de Brig, dans une maison de Villers.
Je l’ai échappé belle au coin du bois de Montrolle où, étant à cheval, je me suis trouvé sous 2 obus. Mis pied à terre, le feu a continué et le Capaine Founier, de l’EM de la Bade a été blessé à côté de moi.

Mercredi 9 septembre – 7h
Le Regt reçoit l’ordre, dès le matin, de se porter à l’est de Villers et de s’y retrancher. Le mouvement est retardé par l’artillerie ennemie qui a repéré le Regt au Nord du village. Cependant, vers 10 h il semble que les travaux ont commencés.
15h. Le Rgt se replie de Villers sur Sennevures où reste le 6e Btn. Le 5e Btn avec le Colonel est placé à l’Est de Chévreville où il passe la nuit.

Jeudi 10 septembre
Partis du bivouac de Chévreville vers 6h sur Oissery. Rencontré Winter à Ognes. À Oissery, au cours d’une halte, visité des prisonniers allemands au nombre d’une centaine, dont 1 Lieutenant et 1 Cadet. Le Lieutenant, blessé à la tête, a répondu en très bon français à mes questions. Il était très digne et paraissait courtois. Lorsque je lui ai dit que nous étions moins bien nourris qu’il n’allait l’être, il m’a répondu : Oui, mais je suis prisonnier, et non pas vous.
Interrogé aussi un soldat, à figure ouverte, et intelligente, qui a déclaré être instituteur, parlant très suffisamment le français. Soldat depuis avril, il avait une correction d’attitude qui nous est inconnue en France.
Le lieutenant était du 66e d’Infanterie en garnison à Halle.
Puis formation de rassemblement à l’est du Plessis Belleville vers 11 heures.
Le 6e Btn est resté à Gennevières à la disposition du Gal Cdt le 7e Corps. Il rejoint le régiment à la tombée de la nuit au rassemblement sus-indiqué.
À 20h ½ le Rgt quitte le rassemblement et se dirige sur Ognes où il arrive à 22 h pour cantonner. Les nouvelles sont bonnes. Les Allemands seraient en retraite vers le Nord.
1914-Village-d'OgnesÀ Ognes, toutes les maisons sont dévastées. Plusieurs ont été brûlées. C’est le pillage et l’incendie organisés par les Barbares. Je couche néanmoins dans un lit avec le Dr Laferrière et je me déshabille.

 

 

Vendredi 11 septembre
Je me rase enfin !
Départ à 8 heures de Ognes. Le Rgt marche derrière le 265 dans la colonne, et devant le 264. Itinéraire : […] Bonneuil en Valois, où nous cantonnons. Les Allemands sont partis de Bonneuil ce matin même à 9 h.
Pluie

Samedi 12 septembre – 7h
Départ de Bonneuil à 4 h 20. Par /…/. Rassemblement de la Brigade au N de Mortefontaine, 316 à droite, 264 à gauche. 265 en arrière.
Brigade de Spahie à la ferme de Pouy. Canonnade en vue du passage de l’Aisne.
15 h 10. Le rgt est rassemblé au N. de la route Fe de Pouy à Ht Fontaine.
Départ à la nuit close (19 h 30) pour Montigny par des chemins atroces. Cantonnement très difficile. Nous nous couchons à 1 h avec Brétineau et Le Roy après avoir absorbé un repas assez copieux. Colonel pas trouvé.

Dimanche 13 septembre – 7h
Rassemblement de la Brigade à 5 h aux abords de Montigny. 316 à la Croix-Rouge, 1km Est de Montigny.
Reçu une lettre de Gaillot, datée du 24 août.
10 h Départ de la Brigade 264-316-265 par l’itinéraire […] pour passer l’Aisne sur le pont du génie. Canonnade. Toute la journée.
Bivouac pris à la nuit, à l’est de St Pierre les Bitry. Le rgt ce jour-là cherche à progresser dans le ravin boisé de St Pierre. 3 sections arrivent à la lisière. Le reste est égaré et se retrouve seulement au Bivouac.

Lundi 14 septembre – 7h
Bivouac levé à 6 h. Départ vers le Nord. Le 316 est au gros de A.G, derrière le 265 et encadrant 1 groupe Artr.
Attaque du front fermé Tiolet, les Bouts de Vaux.
Canonnade intense. Préparatifs d’attaque vers le soir. Retour à St Pierre les Bitry. Bivouac sur le même emplacement. Passé la nuit dans un grenier à 100 m du bivouac. Très fatigué.

Mardi 15 septembre
Départ du bivouac à 5 h 30. Reprise de l’attaque. 316 à droite 264 à gauche. 318 et 265 en arrière.
9 h 20 Reprise de l’attaque sur le front Tiolet les Bouts de Vaux.
Disette générale d’allumettes et de tabac. Mes souliers vont me lâcher.
Cdt Flamond blessé. Toute la journée, la 121e Brigade tente d’attaquer la ferme Tiolet-les Bouts de Vaux.
L’artillerie ennemie, que la nôtre ne parvient pas à contenir, l’empêche de progresser. Le 4e corps qui, à notre gauche, doit aider au progrès du corps Ebener, ne progresse pas non plus ; le 7e corps à notre droite fait quelques progrès mais l’ensemble est stationnaire.
Poste de commandement du Général au bois de sapins.
Le bruit court que l’ennemi que nous avons devant nous n’aurait pour mission que de couvrir des embarquements qui se feraient à Chauny.
Couché à Moulin sous Touvent dans un grenier, vers minuit 1/2.

Mercredi 16 septembre – 7h
Réveillé à 3 h 1/4. Ordre de reprendre l’attaque à 6 heures.
8h. Le 316 s’est porté vers le bois du Bout de Vaux après une préparation par le groupe de renforcement du 35 d’Artillerie ; le mouvement ne paraît pas avoir donné lieu à une grosse résistance de la part de l’ennemi. Il est appuyé par 1 Btn du 316 et un Btn du 265.
10h. Le Rgt subit des pertes sensibles. Cdt Gabillard blessé (jambe cassée), Vignal, blessé.
Midi. Reprise de l’attaque de concert avec la 14e Divon qui est à notre droite. Capne Brodin, balle dans l’œil.
Couché sur les positions en prévision d’une attaque de nuit projetée par la 14e Div à notre droite.
L’attaque de nuit n’a pas lieu.

Jeudi 17 septembre – 7h
Le combat recommence au point du jour.
M Vallantin évacué. Je ne me suis pas lavé depuis le 12, 7 h au matin. Constamment au bivouac et au combat. Pluie toute la journée. Journée tranquille. Nous cantonnons à Moulins sous Touvent. Coucher à minuit. Lever à 3 h 30 pour reprendre les positions.

Vendredi 18 septembre – 7h
4 h. De nouveau au petit bois de sapins, sous un gourbi fabriqué par les hommes.
10 h. Le Régiment, qui est dans les tranchées sur le front, reçoit l’ordre de passer en réserve de Brigade au sud du Bois de Sapins. Le mouvement s’exécute par petites fractions pour ne pas attirer l’attention de l’ennemi. Il est terminé à la nuit.
Reçu au Regt le Capitaine Fleurot et le Lieutenant Brosse, de l’armée territoriale.
15 h 30. M Fillon, sous-lieutt blessé grièvement.
18 h 30 Le Régiment va cantonner à Moulin s/ Touvent. Je couche sur un grabat, tout habillé.
À 22 h, le 6e Bataillon est dirigé sur la ferme Puiseux et le 5e Bataillon reçoit l’ordre d’envoyer avant.
4 h 30 une Cie à la ferme de Touvent. Deux Compagnies du 5e Bataillon sont restées en soutien d’artillerie (groupes du 35 et 51) à la lisière est des bois.

Samedi 19 septembre
4 h 30 Réunion des agents de liaison au pont de Moulin s/ Touvent.
Vers 5 h 30 le 6e Bataillonreçoit de feux violents à la ferme Puiseux. Poste du Commandement du Général à la caverne sur la route de Moulins à Autriche.
9 h. Le colonel Le Camus et le Lieutenant Bouchy sont tués à la ferme Puiseux.
12 h. le commandant Cuignet arrive au Rgt et en prend le commandement.
5e Bataillon – ferme Touvent et abords
6e Bataillon – se retranche sur la croupe sud-est de Puiseux.
Cantonnement à Moulin s/s Touvent. Je couche dans un lit.

Dimanche 20 septembre
7 h Réveillé à 2 h par une canonnade intense. Nous gagnons nos emplacements de combat.
5e Bataillon ferme Touvent
6e Bataillon en réserve dans le ravin, au sud de moulin s/s Touvent.
Bataille acharnée toute la journée. L’infanterie allemande prend l’offensive. Nous ne sommes que faiblement appuyés par l’Artillerie.
Vers 8 h le 6e Bataillon est porté du ravin au bois de sapins.
Dans la journée, à notre droite, le 219 et 262 plient et nous découvrent ; l’ennemi nous tourne ; retraite de la Brigade vers 17 h par échelons, dans la direction de la croupe 152.
Au cours de la retraite, je reçois sur la tête un éclat d’obus qui ne me fait qu’une contusion insignifiante. Blessure légère.
Le Régiment est divisé : débris du 6e Bataillon (dont 2 Cie seulement en ordre, 21 et 22) prennent position au N. de St Pierre de Bitry pour surveiller le ravin ; le 5e Bataillon fait partie d’un groupement qui a opéré toute la journée à l’Ouest du ravin, et est sous le commandement du chef de Bataillon Collarder du 318.
Le Général de Brigade se rend, avec les agents de liaison, à Bitry.
Je me couche à 1 h. Le 21, n’ayant rien mangé de la journée ; un hôte obligeant me procure un peu de viande.
Tué : de la Villemarqué
Blessés : Brétineau, Plat

Lundi 21 septembre
J’attends (nous attendons) à Bitry un ordre de départ qui nous arrive vers 11 h ou midi. Nous nous portons à Attichy de là vers la ferme Monplaisir. À 5 h, ordre d’attaque sur le front Touvent – Puiseux . Je transmets l’ordre au 316 composé de  Cie du 6e Btn à peu près organisées, et d’un amalgame de Cies du 5e Btn, le tout sous les ordres du Lt de réserve Cazenavette, ayant avec lui le Sous-Lieut. Le Roy : 2 officiers pour un Rgt. Folie !
Heureusement, les dispositions étant déjà prises, un contre-ordre de l’Armée nous ramène à Attichy où nous cantonnons. Moi chez le père de mon hôtesse (M. Faroux) propriétaire de la ferme incendiée dans Monplaisir. Je loge avec le Docteur.

Mardi 22 septembre
Un certain nombre d’officiers qui, au 5e Btn ont opéré le 20 du côté de la ferme Touvent n’ont pas reparu au corps. Il a été difficile de savoir les circonstances de leur disparition qui paraît cependant imputable à une occupation simultanée par les Français et les Allemands de la ferme Touvent et d’une partie du village de Moulin. Ils auront été fait prisonniers dans la nuit du 20 au 21 septembre.
Ce sont : MM. Cuignet Chef de Btn présumé blessé
Fleurat, Capitaine ; Brosse, Lieutenant ; Bruneau, Lieutenant ; Seron, idem ; Moreau, Sous-Lieut; Debruki Lieut. Blessé ; Etourneau, Sous-Lieut idem
Aujourd’hui repos relatif à Attichy, au bruit d’une canonnade assez rapprochée. Deux obus allemands tombent même dans la matinée vers la partie Ouest du village.

Mercredi 23 septembre
Départ à 4 h d’Attichy dans une colonne formée de 264-265 groupe du 51e Art. 315. La 61e Div est réserve du 7 Corps chargé d’attaquer à l’est du ravin de Moulin ss Touvent. Le 316 et le 265 sont rassemblés vers 7 h derrière un petit bors au N.O. De Vic s/ Aisne, face au Nord. 316 à droite, 265 à gauche. Brouillard. Quand le brouillard est sur le point de se lever, je fais entrer le régiment tout entier dans le bois, pour le soustraire aux investigations aériennes.
Je commande le régiment et j’ai avec moi comme Cdt de Btn, le Lieut° de réserve Cazenavette et le Sous-Lieutt temporaire Andrieu. Autres officiers : Sous-Lieutt Le Roy et Gravrand.
Reste toute la journée dans le petit bois. À la nuit, cantonnement à Vic s/ Aisne.
Après dîner, je suis pris d’une syncope et je tombe comme une masse dans la cours de la maison où nous avons dîné. Cet incident provient sans doute du surmenage et de la diarrhée qui me tient depuis 24 heures.
On me relève et quatre-z-officiers me transportent sur mon lit. J’ai des frissons assez intenses qui cèdent aux bons soins des médecins dont je suis entouré, car j’ai dîné avec le service de santé du Régiment.

Jeudi 24 septembre
Au lieu de partir de Vic s/Aisne pour Attichy avec le Rgt à 5h, je suis véhiculé dans une voiture d’ambulance qui ne part de Vic que vers 7 h ou 7 h ½. Le Cdt Commailleux du 265 a assuré le commandement du RgT jusqu’à Attichy. Je le reprends à mon arrivée.
Le régiment est au repos, mais nous ne voyons toujours pas nos bagages. Bien logé dans une maison abandonnée avec le Docteur. Nous faisons du feu et nous faisons une toilette assez complète. Si nous avions nos cantines, ce serait parfait.

Vendredi 25 septembre
La Brigade est en réserve d’armée. Départ d’Attichy à 6 h 30 pour Couloisy, par le pont de Jaulzy. En arrivant à Couloisy, le Rgt est placé dans les bois au sud du village, à l’Est est près du petit chemin qui monte à la côte 132. Une section est envoyée en couverture au N. du village de Couloisy ([…]).

Midi.
Le 316 et le 265 sont portés du bois Sud de Couloisy, à la sortie ouest de Jaulzy où nous sommes à la disposition du Gal de Div/ion.
De là, nous sommes dirigés du Bitry vers 14 heures, et nous y restons en réserve jusqu’à la nuit. Nous y cantonnons. Je loge au presbytère vide, nous y faisons la popote. Couché tout habillé sur un lit avec Laferrière.
Manquand dîne avec nous. Le sergent Pilard, du T.R., nous apprend que le 116 est passé à Chelles dans la journée, se dirigeant vers Compiègne. Vicel, Audigé, le CommT Voisin, le CommT Viotte me font donner le bonjour.

Samedi 26 septembre
En place à 4 h 30, dans les rues de Bitry, comme la veille. Je reçois l’ordre à 6 h de me porter avec le RgT sur St Pierre les Bitry, où je dois suivre le 265 dans le ravin boisé au nord de St Pierre. Nous partons à 6 h 15. Vers 8 h, nous rejoignons le 265 dans le bois. Nous nous arrêtons. Le canon tonne tout autour de nous. Il s’agit de reprendre l’attaque du front bien connue Moulin s/ Touvent. Arrtrèches. 318 et 264 en 1ère ligne
Midi 30. Reçu l’ordre de me reporter en arrière et de préparer une position de repli. Exécuté et rendu compte à 13 h 45
14h45. L’attaque reprend, tout le monde se reporte à l’avant. Le 316 par les pentes boisées et prêt à préparer une position de repli.
À 16 h, il est massé dans une coupure profonde du ravin, un peu en arrière de tranchées établies sur le plateau et occupées par des troupes du 7ème Corps ([…]). La canonnade tonne furieusement sur nos têtes.
À 22 h il rentre à St Pierre les Bitry, où je couche dans une grange avec le CIR.
Vers 8 h du soir, Laferriere, revenu à Bitry, nous a envoyé un dîner composé de viande froide et de riz au gras, arrosés de vin rouge et d’un peu de rhum.

Dimanche 27 septembre
Reprise des emplacements à 5 h.
Le 316 se place dans une partie de bois, dans le fond de la vallée, sur le bord du petit chemin.

8h. Ordre de rapprocher le régiment de la 1ère ligne et le porter à la maison du Garde. Le mouvement à travers bois, en colonne par 1 est extrêmement long, le 5ème Btn est en place à 10 h. LE 6ème Btn qui a été coupé et s’est égaré n’arrive qu’à 12 h 30 ;
Cette bataille qui se prolonge depuis 15 jours et dont ne nous voyons pas la fin finit par nous exaspérer. Tout le monde est nerveux est en a assez. Depuis le 14, 7 h, nous n’avons pas fait un pas en avant ; nous aurions plutôt reculé de quelques centaines de mètres.
1914 Village-St-Pierre-Les-BitryLe Lieutenant-Colonel Plujette prend, sur le terrain, le commandement du Rgt. Nous restons jusqu’à la nuit close aux abords de la Maison du garde et nous rentrons à St Pierre les Bitry où nous cantonnons. Je couche dans la paille près du Lieutt Colonel.
J’apprends que je suis nommé à dater du 24 Sept Chef de Btn à titre temporaire et pour la durée de la guerre. Je prends le commandement officiel du 6e Btn.

Lundi 28 septembre – 7h
À 4 h 15, nous reprenons nos emplacements d’hier.

GrandeGuerre construction-d'une-tranchee

Construction de chantier

10h. Comme le Btn est placé en position d’attente sur une pente boisée où tombent de temps à autre des skropnels et des balles venant obliquement, je prescris aux Cie de faire de petites tranchées pour abriter tout le monde, car il est vraiment inutile de s’exposer à des pertes à l’un endroit où il est impossible de rendre les coups que l’on reçoit. Les hommes qui, en temps de paix, sont d’une certaine mollesse aux travaux de campagne, comprennent la nécessité du travail et en très peu de temps, tout le monde est terré dans des abris qui se perfectionnent peu à peu. Tous les fagots existant dans le bois à une certaine distance du Btn sont transportés et employé à renforcer les abris.
15h. De part et d’autres, on manifeste peu d’activité sur le front ; nous échangeons seulement avec l’ennemi d’assez nombreux coups de canon et quelques coups de fusil. Nous comprenons sans doute enfin qu’il nous est impossible de forcer de front cette position du Tiolet qui nous tient en échec depuis 15 jours ; le plus que nous puissions faire est de retenir là des forces ennemies qui seraient peut-être très utiles ailleurs. L’ennemi, lui, n’y est sans doute pas assez fort en infanterie pour nous y attaquer sérieusement. Sans cela il y aurait beau temps qu’il eut rejeté au-delà de l’Aisne les faibles divisions de réserve qui tiennent notre front. Tout le monde sent que ce n’est pas là que la décision sera obtenue, mais bien sans doute au-delà de l’Oise (rive droite) où on dit que l’armée Castelnau opère. Notre rôle est important mais secondaire.
18h30. Nous allons cantonner à Bitry, laissant dans les tranchées la 19e Cie et 1 section de la 23e qui iront se reposer à leur tour demain à St Pierre.
Logé au Presbytère de Bitry. J’ai pu avoir ma cantine. J’ai changé de linge et je me suis rasé. Maquard m’apporte une paire de chaussures qui me vont comme un gant. Coût : 23f50. Je laisse mes vieilles dans une chambre du presbytère. Le curé, quand il réintégrera son domicile, en fera cadeau à ses pauvres.

Mardi 29 septembre
Départ de Bitry à 4h30 pour être en place à 6h. Le 6e Bataillon remplace le 5e dans les tranchées voisines de la Maison des gardes. De droite à gauche : 21e – 22e – 24e. Le 23e reste en réserve dans son emplacement d’hier. Le 5e Bataillon prend la place du 6e dans les abris en arrière.
Dès ce matin, avant notre arrivée, la canonnade et la fusillade ont reprise, particulièrement à gauche, vers Touvent et la crête de Puiseux. L’ennemi ne répond pas, ou à peine. On dirait qu’il a en partie évacué ses positions.
Reçu dans la journée 700 hommes du Dépôt, avec trois officiers (MM. Véron, Gautereaun, et Gourvennec), ce dernier affecté à la 24e Compagnie.
Rentrée à la nuit à Bitry, où se passe la nuit au presbytère, comme d’habitude, tout habillé.

Mercredi 30 septembre
Le régiment part, par alerte, de Bitry à 3h30 et se reporte à la Grotte (ou Maison du Garde). Le 6e Bataillon relève le 264 dans les tranchées en avant de la Grotte. 2 Compagnies (21 et 23) dans les tranchées en avant, 22e dans les tranchées occupées hier à hauteur de la Grotte ; la 24e qui a passé la nuit de garde aux tranchées du ravin, rentre se reposer à St Pierre-les-Bitry. Cette dernière compagnie est remplacée par la 20e qui passe sous mon commandement, car je suis Commandant de l’ensemble des tranchées à l’est du ravin. (Non, je ne serai de tranchée que demain, j’alterne avec le Lieutenant-Colonel Pluyette, qui prend ce soir et le Cdt Veret du 264).
15h – la 121e Brigade attaque dans la direction de Moulin s/Touvent.
Le 5e Bataillon presse 2 Compagnies (17 et 18) dans le ravin avec mission de progresser vers le Nord. La 19e est en réserve de Bataillon. Le 6e Bataillon et la 20e restent à leurs emplacements dans les tranchées. Fusillade assez vite. L’artillerie ennemie fait subir quelques partes au 316 et au 264. Cette attaque n’a pour effet que de faire gagner quelques cent mètres à nos troupes, qui sont d’ailleurs ramenées par ordre, à la nuit close, sur leurs anciens emplacements. Encore quelques victimes pour rien ! Il est désolant que nos chefs n’aient pas encore compris que nous ne ferons pas un pas en avant ici.
Vers 21heure, le 8e Bataillon, mccc la 20e et plus la 24e rentrent cantonner à St Pierre les Bitry. Les 20, 21, 22 et 28e Compagnies restent dans les tranchées où elles passent la nuit.
Je reçois l’hospitalité, à St Pierre, de mes bons amis les médecins qui ont fait préparer un diner satisfaisant : soupe à l’oignon, côtelette, purée de pommes, poires, jus. Je couche avec Laferrière.

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Carte mvts 30 septembre 1914

 

 

Octobre 1914

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Tranchées avant poste

Jeudi 1re octobre
Départ à 4h de St Pierre. Tout le monde retournera, pour 4h45, sur ses emplacements. Comme tous les jours, à partir de 6h environ, nous échangeons avec les Boches quelques coups de canon. Nous recevons l’ordre d’approfondir et de perfectionner nos tranchées. Cette guerre de troglodytes va-t-elle durer longtemps encore ?
11h30 : nous entendons vers le N.O. une vive canonnade, lointaine et qui ne nous parvient que comme un grondement. Reçu une carte de Noblet, du 5e 7. Il était alors en bonne santé. Mais depuis ?
14h : des renseignements d’aviateurs semblent établir que les positions du Tiolet serait évacuées et que les rassemblements de troupes auraient été vu à Nampcel, présentant des indices de départ vers le N.E. Qu’y a-t-il de vrai dans ces indications. Dans tous les cas, une attaque va être tentée à 15h30 pour essayer d’éclairer la situation. Le 5e Bataillon + 24 – 20, va se poster par le plateau à l’est du bois de sapins, dès que le 264, qui est en avant se sera engagé. Le 6e Bataillon reste en position de repli dans ses tranchées. Il parait que la 37e Division qui est à gauche vers Tracy, a pu avancer dans la journée sans rencontrer beaucoup de résistance.
Pourvu que le mouvement projeté n’ait pas la même issue que celui d’hier ! je me méfie des ruses allemandes.
18h : c’est bien ce que je prévoyais : l’attaque a eu lieu, nous avons eu 3 morts et 16 blessés ; on a pu constater que les allemands tiennent toujours leurs tranchées, et maintenant nos unités reprennent leurs emplacements de la veille. C’était bien la peine !
Je reste la nuit à la Grotte, comme Commandant des tranchées. La nuit est tout-à-fait calme.

Vendredi 2 octobre
A 7h, je rentre à St Pierre les Bitry avec mon Bataillon – la 24e + la 20e. Je me rase, je me fais couper les cheveux, je me nettoie et j’attends les événements. Nous devons être prêts à partir au premier signal pour le plateau.
J’écris à Nallet une carte-lettre. Depuis 5 jours, je n’ai plus aucune nouvelle de Vannes. Je sais bien qu’on m’écrit chaque jour, mais les lettres sont pour nous un tel réconfort !
A midi, je reçois l’ordre de reconduire le Bataillon à la Grotte. Le mouvement est terminé à 13h. Changement dans les dispositions de la Division. Le 316 va remplacer le 318 sur les emplacements qu’il occupe sur le versant Ouest du ravin, c’est-à-dire devant Touvent. J’emmène le Bataillon, après reconnaissance faite par le Lieutenant-Colonel. La 22 est placée la plus à l’ouest, sur le rebord de la croupe de Touvent, poussant 2 sections dans les tranchées du plateau. La 23e pousse 3 sections à la ferme du Moulin et on laisse une dans les tranchées, à 800 m en arrière, dans le fond du ravin. La 21e place 2 sections sur le rebord Est du plateau et 1 dans une tranchée sur le plateau. La 20e est en réserve au Sud de la croupe.
Le poste du Commandant en chef du Bataillon est dans une grotte à 100m des tranchées allemandes.
Le 5e Bataillon se rend à St Pierre-les-Bitry. Vers 7h1/2 du soir, vive fusillade dans les ravins, qui dure au moins une 1/2 heure, le canon s’en mêle, et tout s’éteint.
Je m’étends sur la paille avec M. Le Roy ; nuit froide. J’ai des crampes partout.

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La Grotte (?)

Samedi 3 octobre
Au matin, un homme de la 20e nous procure un café au lait (lait de la ferme du Moulin) et des tartines grillées, sans beurre naturellement. La position que nous avons ici est très en flèche et par-dessus le marché indéfendable. Nous sommes adossés à un ravin d’au moins 60 mètres de profondeur. Nous passons la journée dans cette situation. A 17h le 5e Bataillon vient relever le 6e Bataillon qui rentre à St Pierre. Naturellement, je reçois l’hospitalité des médecins.
Nous recevons 2 sous-lieutenants de Terrale, MM. Marceau et Chemin.

Dimanche 4 octobre
Départ de St Pierre à 5h pour placer le Bataillon en réserve sur le plateau vers l’y de Arbre de Bitry. Rentré à 7heures.
Je crois être tranquille, jusqu’au moment où j’emmènerai mon Bataillon relever le 5e dans les tranchées, mais il sera dit que le repos n’est pas pour nous : à 8h1/4, je reçois ordre de faire organiser défensivement la lisière du village de St Pierre les Bitry. Je fais la reconnaissance avec mes Commandants de Compagnie et le travail commence vers 9h. 2e Compagnie, 21 et 22, exactement au Nord de la lisière, 1 Compagnie, 23, à droite et un peu en arrière de la 1ère ligne, la 4e Compagnie (20) en réserve dans le village même.
A 15h30, le Bataillon est conduit en réserve sur le plateau au même emplacement que le matin. Je me rends au poste de commandement du Général de Brigade qui me fait des recommandations pour la nuit et prévient que la relève aura lieu dans les conditions habituelles, mais à la nuit close.
18h. la relève se fait sans incident. Je m’installe dans la caverne, où je passe la nuit, sans feu, car une batterie allemande est installée derrière les crêtes, en face.

Lundi 5 octobre
La nuit s’est passée sans incident. De nombreux roulements de voiture ont été entendus vers Moulin s/ Touvent, hier soir entre 20 et 21h, et ce matin entre 2 et 3h.
Les allemands ont canonné le ravin à partir de 2h, mais je crois sans effet.
17h. Jusqu’ici la journée s’est bien passée, sauf une canonnade intermittente dans le ravin ; elle n’atteint pas notre grotte, mais on passe souvent bien près. Le moment délicat sera tout à l’heure celui de la relève, car il faudra parcourir tout le ravin pour rentrer à St Pierre.
Appris aujourd’hui par une lettre de Doué que Michel serait prisonnier. Ecrit au Commandant de la 3e pour lui demander des renseignements.
Oublié de noter hier qu’ayant reçu ma solde de septembre, c’est-à-dire une somme de 625 Fr environ, j’ai laissé à l’officier de détails 500 francs pour prendre un mandat à l’adresse de Jeanne. Fait la lettre ce matin et l’ai remise au Vaguemestre Philippon. J’espère que le mandat partira demain. Mais quand aurai-je l’accusé de réception ?
Nous sommes vraiment comblés d’argent, mais la raison est que nous n’avons guère l’occasion de le dépenser. Je dois avoir sur moi encore 400 francs.
Au déjeuner, hier, j’ai arrosé mon 4e galon avec 1 bouteille de Moulin à Vent et une Bouteille de Corton achetées à Attichy par le Dc Vilaine. Coût 10 francs. J’ai été heureux de faire cette petite largesse à la table hospitalière de mes amis les médecins.
Rentré sans incident à la nuit close à St Pierre les Bitry après la relève.

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Tranchée avec barbelées

Mardi 6 octobre
A 4h30, le 6e Bataillon se rend sur le plateau à l’ouest de St Pierre ; 3 sections travaillent jusqu’au jour à des tranchées de repli ; le Bataillon rentre à 7h à St Pierre, où il doit se reposer jusqu’au moment où il relèvera ce soir le 5e Bataillon.
Pas de lettre aujourd’hui. Mon mandat n’est pas encore parti. Philippon me dit que j’aurai le talon demain.
Le Bataillon s’est en effet reposé toute la journée. Fait un petit chemin de fer avec les médecins, et gagné une vingtaine de sous.
A 17h30, départ pour la relève. La nuit tombe et la relève s’effectue sans un coup de fusils, ni coups de canon.
Les Allemands travaillent toute la nuit à placer des réseaux de fil de fer devant leurs tranchées à 150 ou 200 mètres de nous… la 21e Compagnie (une section), fait des feux de salves, vers minuit, sur des troupes allemandes qui lui paraissent en colonne par 4 sur la crête en face. Nous avons deux blessés au cours de cette fusillade. Le secteur de la 24e qui se trouve au Sud de la Caverne fait feu également. Un homme de cette section est tué.

Mercredi 7 octobre
15h. journée calme jusqu’ici. Quelques coups de canons. Nos artilleurs envoient de la mélinite sur la figure des Boches dans leurs tranchées.
Reçu 4 cartes ou lettre de Vannes, la dernière du 29 sept. – 1 lettre de Jacquet du 18 sept.
Rien a signalé dans le journal. La relève s’est faite à la nuit tombée sans incident. Je rentre à 7h à St Pierre.

Jeudi 8 octobre
Une patrouille du 318 ayant pu parait-il se glisser dans la nuit jusqu’à la ferme Touvent, on en conclut, un peu vite peut-être, que les Allemands évacuent la position. En conséquence, la 122e Brigade à l’intention de pousser en avant pour vérifier le fait. La 121e doit éventuellement prêter son concours à l’opération. Aussi le 6e Bataillon reçoit l’ordre à 3h d’avoir une compagnie à la ferme du Moulin à 4h30 (j’y envoie la 23e dont c’est l’emplacement habituel), et d’être à sa position de réserve sur le plateau N.O. à St Pierre également à 4h30.
7h. rien de saillant, quelques coups de canon ont bien été tirés de part et d’autre, mais je n’entends rien qui ressemble à une attaque de la 122e Brigade. Aussi j’ai fait demander par téléphone au Colonel si le Bataillon pourra rentrer à 7h comme d’habitude à St Pierre. Réponse : « Attendez ».
Vers 9h, je reçois avis que la 122e Brigade attaque, que le 5e Bataillon va coopérer par le feu de ses tranchées à cette opération, que le 6e Bataillon appuiera dans la mesure du possible par le plateau. En conséquence, ordre à la 24e de pousser une section à la corne du bois, où se trouve d’habitude la 22e (emplacement de nuit). Le reste de la Compagnie progresse le long de la lisière d’environ 200 m.
10h15. Le Lieutenant-Colonel commandant le 219e, qui se trouve à ma gauche, me fait connaître par un agent de liaison, que la 122e Brigade suspend son attaque. J’ordonne au Bataillon de stopper, et j’attends. Je transmets le renseignement au Lieutenant-Colonel à la Ferme du Moulin et au Général de Brigade à son poste de commandement. Les transmissions sont longues et le déjeuner arrive, vers midi 1/2 avant qu’il y ait eu une solution.
Enfin, vers 14h, je reçois du Général une communication téléphonique me permettant la rentrée à St Pierre « si l’attaque de la 122e n’a pas lieu ». Alors je fais rentrer le Bataillon à St Pierre, m’autorisant de la communication du 219 à xxx.
A 17h30, comme d’habitude, je vais relever le 5e Bataillon. Mais auparavant, j’ai eu le temps de faire un bridge à trois avec Laferrière et Le Roy. Gain 0,70.
J’inaugure, pour ma nuit de garde, un nouveau poste de commandement construit par le Génie à proximité de ma Compagnie de Réserve. C’est un édifice en terre et bois creusé en partie dans une pente du sol et pourvu d’une cheminée en terre et clayonnage, d’une table pour le téléphone, d’une porte en clayonnage, etc. Confort moderne ! Il y a même un bougeoir creusé dans un bloc de bois suspendu à un parvis à côté de la cheminée. Bravo, le Génie. J’y fais apporter de la paille et y passe la nuit sans avoir froid grâce à mon caoutchouc, ma couverture de cheval et au feu qu’un téléphoniste entretient dans la cheminée. J’ai avec moi mon adjudant de Bataillon, planton et 2 téléphonistes.
moulin-s-touventLe Général de brigade m’a téléphoné vers 20h, que notre 155 allait tirer sur Puiseux et Moulin s/ Touvent pour troubler les mouvements de voitures, qu’on entend toutes les nuits chez les Allemands. Quelques coups sont en effet tirés entre 20h30 et 21h. Quels effets ont-ils produit ? Mystère…

Vendredi 9 octobre
Nuit sans incident. Dès le matin, je fais commencer, à côté de mon poste, un refuge pour les agents de liaison, car ma cabane est trop petite pour les contenir tous.
Reçu de Jeanne une lettre du 29 sept où elle m’apprend la mort de Grenoulleau de Lagarde et me confirme la captivité de Vuarnet.
Le Roy m’a envoyé ce matin un demi-litre de lait de la Ferme du Moulin, ce qui m’a permis de prendre un café au lait, puis à midi du riz au lait qui a fait mon dessert. Ce jeune officier sait flatter les goûts de don Chef de Bataillon.
La journée se passe sans aucun événement notable. Notre 155 envoie de temps en temps 40 kg d’acier sur les Bôches et notre XX y joint des pruneaux plus modestes. Les Allemands tirent peu aujourd’hui… Reçu communication de la traduction d’un ordre du jour allemand, relatif aux prescriptions à observer par eux contre nos avions. Ils semblent se plaindre fortement du résultat de nos reconnaissances et des effets des feux de notre artillerie. Nous-mêmes, nous avons souvent fulminé contre les avions allemands qui nous repéraient ; il semble résulter de tout cela que les deux adversaires sont logés à la même enseigne, et que l’avion est un engin contre lequel il faut savoir prendre des précautions. Les Allemands ordonnent de cesser toute vie autour de leurs pièces quand un avion français les survole, et leur interdit de tirer dans ce cas, afin d’éviter que les aviateurs ne voient les lueurs.
Demain, les 4 ans de ma Choute, dans 4 jours, 18 ans de mariage. Ne pas oublier de parler de ces évènements dans ma lettre de demain à Jeanne.
19h30. Je suis en train de dîner quand une fusillade et une canonnade furieuses éclatent vers nos tranchées. Le 6e Bataillon est appelé aux armes et dirigés sur son emplacement de réserve. La 23e Compagnie détache deux sections pour se mettre en liaison avec la 18e qui occupe les tranchées de gauche du plateau, la 22e Compagnie occupe une tranchée face au N., les 2 arrivent en réserve le long de la lisière du Bois. Peu à peu, tout s’éteint, et nous rentrons à St Pierre à 23 heures.

Samedi 10 octobre
Le Bataillon est sur son emplacement de réserve à 5h. il en rentre à 7h sans incident.
Reçu de Jeanne une photo des salles Lanxxx et Moreau, ma chère famille y figure toute entière. Ma choute chérie a 4 ans. La journée est tout-à-fait calme ; nous la consacrons entièrement au repos. Dans l’après-midi, un petit bridge avec Le Roy, Laferrière et le Dc Dupont ; j’y gagne 8 sous.autreches-oise-cpa-14-18-carrieres-saint-victor
A 17h30, comme d’habitude, je pars relever le 5e Bataillon aux tranchées. La soirée se passe sans incident dans mon secteur, mais entre 20h et 21h, une violente fusillade se fait entendre vers l’Est ; j’estime que c’est sur le front de la 14e Division. Le canon français intervient, puis au bout de peu de temps, tout rentre dans le silence.
Attaque hier sur le front Touvent ravin ; attaque aujourd’hui plus à l’Est, probablement vers Autrèche. Ces gaillards-là m’ont l’air de tâter le terrain en vue d’une action de nuit générale et prochaine. Je crois qu’il faudra ouvrir l’œil.
22h. le Génie a dû commencer ce soir une tranchée partant de la lisière de la 21e et allant sur le plateau.construction-tranchees-2

Dimanche 11 octobre
Nuit sans incident. Bien dormi dans ma cabane. Le Génie a construit une partie de la tranchée projetée, laquelle a été occupée par une 1/2 section de la 21 Compagnie. De plus, des ro
nces artificielles ont été placées en avant des 2 secteurs de droites de la 21e au N. de la Caverne. Hier soir, le Capitaine du Génie qui est venu se reposer un moment à mon poste avant d’aller au travail, m’a dit avoir vu dans la journée, des passages faits par les Allemands sous les parapets de leurs tranchées, et leur permettant de faire déboucher devant nous des colonnes. C’est un indice de plus de leurs intentions d’attaquer la nuit par surprise. Je préviendrai de cela mes unités.
16h. Journée calme. Nos 75 ont envoyé quelques coups de mélinites vers la cote 150 et nos 155 sur Touvent ; nos avions, à trois à la fois, ont volé au-dessus de l’ennemi : 2 monoplans, Blériot je crois, et 1 biplan du type Farman. Un des monoplans a atterri vers Vic ou au-delà. Nous avons vu aussi un avion Boche au-dessus de nous.
18h. Relève sans incident. Je rentre à St Pierre.

Lundi 12 octobre
Petite promenade habituelle sur le plateau à 5h. nous faisons à titre d’instruction, lancer une grenade à main qui éclate à 15 m de nous environ. Engin qui parait peu dangereux, mais susceptible quand même de jeter l’émoi chez l’adversaire. Le sous-lieutenant Le Roy est chargé de remettre sur pied une section de mitrailleur avec un personnel totalement inexpérimenté. Cette prescription du Commandement prouve à quel point nos grands chefs ignorent les conditions d’emploi de cet engin. Instruire des mitrailleuses sans cartouche me parait une dangereuse illusion, surtout en face d’adversaires parfaitement entrainés au service de cette arme.
Joué au bridge avec Le Roy, Laferrière et un médecin du 264.
Relève du 5e Bataillon par le 6e à 17h30 comme d’habitude. Le Lieutenant-Colonel me parle de la probabilité d’une attaque de nuit à tenter prochainement par le 316. Dans la situation que nous occupons, je crois que c’est une folie qui nous coutera cher et aboutira à un échec… Face le ciel que je me trompe !
Nous apprenons la chute d’Anvers.

Mardi 13 octobre
Nuit sans incident. A 6h1/2, je vais voir les 22e et 21e Compagnies ; le canon tonne un peu partout ; je vais voir la tranchée occupée sur le plateau par une section de la 24e ; on y accède par un boyau du Génie, si étroit qu’on a peine à passer, mais qui garantit très bien les vues. J’ai dû peut-être laissé voir le haut de mon képi, car une balle passe juste au-dessus de moi. Je ne vais pas à la 23e car les obus tombent dans la vallée, et il est bien inutile d’écoper pour aller constater que cette Compagnie a bien exécuté l’ordre de mettre ses hommes à même de bien tirer dans leurs tranchées. Je rentre à mon poste après avoir pris un bon chocolat à la 21e
8h10. Voilà la pluie, nous allons être frais si elle se prolonge.
Le Commandant Flamand quitte le régiment, appelé à d’autres fonctions. Plusieurs sous-officiers sont nommés sous-lieutenant de l’Active : Marande, Patte, Floch, Grégoire, Le Visage, Cuny.
L’Adjudant de réserve Le Galle est nommé sous-lieutenant de Réserve.
Journée calme. Le 5e Bataillon relève le 6e à l’heure habituelle et je rentre à St Pierre. Le chemin est glissant surtout pour moi qui n’est pas de clous sous mes chaussures. J’en ferai mettre demain.

Mercredi 18 octobre
J’ai aujourd’hui 18 ans de mariage, union heureuse que je prie le ciel de continuer à favoriser.
Reçu une lettre de Jeanne et une de René du 9 octobre, apportées parait-il par le Sergent de Boisbaudry qui aurait aussi un paquet pour moi, qui ne m’a pas été remis ; j’espère le recevoir ce soir.
16h. Je n’ai vu aucun paquet. Je vais prendre la garde aux tranchées et verrai à éclaircir plus tard la question Boisbaudry.
Joué au Bridge dans l’après-midi +180 (Laferrière, Dupont, le Roy Tellier et moi).
Relève sans incident. La pluie a rendu les chemins très glissants et je n’ai pas pu faire mettre des clous à mes chaussures !

Jeudi 15 octobre
Vers 1h
fusillade à la 21e paraissant provoqué par des coups de feu partis des tranchés ennemies sur notre Génie qui travaille sur le plateau. Bruit pour rien.
On m’a annoncé hier soir que la 37 Division ferait cette nuit une attaque des positions allemandes devant elle. Nous n’avons rien entendu. Décidément, je crois que les velléités d’attaque ne se réalisent guère, pas plus sur les fronts voisins que sur les nôtres.
14h. Canonnades intermittentes. Les Allemands ont tirés pas mal d’obus dans la matinée sur la Ferme du Moulin.
Pas de lettre aujourd’hui. Toujours pas de nouvelles de mon paquet. Je n’y comprends rien.
Rien à signaler à la relève du 6e Bataillon par la 5e. la marche est extrêmement pénible pour rentrer à St Pierre en raison de l’état du chemin et de l’obscurité.

Vendredi 16 octobre
Nous tournons à la vie de garnison. Voilà que je reçois l’ordre de passer une revue dans l’après-midi. Voilà mon bridge bien compromis. Je désigne la 22e Compagnie pour m’être présentée à 14heures. Au moment où je passe l’inspection, de gros obus éclatent sur la crête à l’ouest de St Pierre et des éclats tombent dans le village à 10 m de nous. J’abrège ma revue, et je vais faire le bridge des médecins +3.
A l’heure habituelle relève. Je pars avec mon Bataillon à 17h15. Vers 19h, fusillade aux tranchées, mais rien de violent ; elle cesse et reprend par intervalles ; vers 21h30, le silence se fait et la nuit est calme. Comme d’habitude les officiers du Génie viennent se reposer un peu dans ma cabane et giberner quelques moments. Ils dinent même ce soir dans l’immeuble.

Samedi 17 octobre
Encore pas de nouvelles aujourd’hui. J’ai téléphoné ce matin à St Pierre pour savoir si le sergent de Boisbaudry a paru à sa Compagnie. Personne ne l’a vu. Voilà qui est au moins singulier. Je crains bien de ne jamais voir le paquet que m’a envoyé Jeanne… Et cependant, je commencerais volontiers à endosser un gilet de laine…
Journée fort calme. On annonce pour demain un détachement de 1 Capitaine, 2 Lieutenants, 1 sous-lieutenants et 500 hommes. Peut-être ces gaillards-là apportent-ils mon paquet.
Je rentre à 18h à St Pierre sans incident.

Dimanche 18 octobre
A 1h,
je suis réveillé par un planton qui m’apporte l’ordre de porter mon Bataillon au secours du 5e attaque.
La fusillade parait en effet assez vive ; le canon même donne un peu. Mais, à peine le Bataillon a-t-il fait quelques centaines de mètres sur la route des tranchées que le silence se fait. J’avais pris les dispositions suivantes 22e Compagnie en tête chargée d’appuyer la 18e ; 21e et 24e derrière ; 23e en flanc garde sur le plateau. Malgré la cessation du feu, je continue sur le chemin jusqu’à mi-chemin environ du poste de Commandement. Là, je vais demander des ordres au Lieutenant-Colonel. L’ordre de rentrer à St Pierre ne m’arrive qu’à 3h45. Le Bataillon rentre à 4h, et est autorisé à ne pas monter sur le plateau ce matin. Au total, 9 heures dehors pour rien. Il est singulier que ces choses n’arrivent que pendant le repos du 6e Bataillon.
J’assiste à 8h à la messe du sergent Robireau.
Vers 9h1/2 nous arrive un détachement du Dépôt, sous le commandement du Capitaine Chapart, avec Farigeul, Weill et xxx Larivière.
C’est une joie de recevoir deux lettres fraiches et de voir des gens qui ont vu les miens 4 jours auparavant. Jeanne m’a envoyé par le sergent Le Floch un cache-nez et un pot de rillettes, lequel a été vidé incontinent à la table de la popote où on a célébré l’attention délicate de Mme Moreau.
Dans l’après-midi, Bridge – 3,80.
A 17h30, relève habituelle du 5e par le 6e Bataillon.
La nuit a été calme : parbleu, c’est le 5e Bataillon qui est au repos.

Lundi 19 octobre
Visité ce matin la sections de la 24e placé le long de la lisière du bois face à l’ouest, entre l’ancienne et la nouvelle tranchée. Tout est bien en place.
10h. Notre 155 tape sur une tranchée allemande au Nord de la route Moulin-Autrèche. S’il tape juste, il doit faire de sérieux dégâts.
La nuit dernière, le Génie a placé des réseaux Bruis devant les tranchées de Moulin – Moulin, dans le fond de la vallée. Obstacles presque invisibles et sérieux , qui en cas d’attaque des Boches, les retiendront un moment sous le feu de nos tranchées. Sur le plateau, le Génie a dû renoncer au travail cette nuit ; quelques obus sont tombés dans son voisinage, et les tranchées ont été éclairées par des projectiles lumineux qui l’ont obligé à se tapir au fond des tranchées.
Rien à signaler dans la journée. Relève du 6e Bataillon par le 5e à l’heure habituelle. Je trouve en rentrant à St Pierre mon paquet de lainages qui est venu tout simplement dans les bagages du détachement Chopard.

Mardi 20 octobre
Matinée sans intérêt.
Je suis monté sur le plateau avec les 21e et 22e Compagnies de 5 à 7 heures.
Nous entendons dans la journée quelques obus allemands passer sur nos têtes, qui sont dirigés sur Bitry. Ce village, parait-il, va devenir peu habitable. En prévision d’une éventualité semblable à St Pierre les Bitry, le Lieutenant-Colonel Touchard, commandant par intérim la Brigade me conseille de faire reconnaitre des emplacements à occuper en cas de bombardements ; je fais alors la reconnaissance de carrières situées à 300 m à l’ouest de St Pierre et qui peuvent contenir facilement 2 à 3 Bataillons. Bridge dans l’après-midi. Impossible de terminer la partie avant le départ du Bataillon pour les tranchées. Au moment du départ, je suis à +9. Relève sans incident. A partir d’aujourd’hui, le Bataillon de tranchée est accompagné d’un médecin aide major ou d’un Médecin auxiliaire. C’est le Dc Dupont qui monte avec moi.
Vers 22h30, fusillade sans grande violence devant le bois de sapin ; quelques coups de canon font la basse. Le Capitaine Méraux du 265 me téléphone de St Pierre pour me demander ce qui se passe. Je le rassure en deux mots et nous continuons notre nuit, qui est calme.

Mercredi 21 octobre
A 3h1/2, nous sommes réveillés par un commencement d’incendie dans la cabane. Il faut démolir presqu’entièrement la cheminée pour l’éteindre. Nous voilà donc sans feu. Mauvaise affaire. Il tombe une vague petite pluie qui n’est pas chaude.
8h. Un téléphoniste prétend se charger de reconstruire la cheminée. Nous verrons bien s’il y réussit.
9h1/2. ma cheminée fonctionne, et j’ai à nouveau du feu.
Rien de nouveau dans la journée. Le Lieutenant Colonel Touchard, des tirailleurs marocains, commandant la 21e brigade en remplacement du Général Delarue, évacué depuis plusieurs jours déjà, est venu voir les tranchées du secteur. Il est accompagné dans sa visite par le Lieutenant Colonel. Moi, je reste au poste de commandement.
Vers 15h, on annonce par téléphone que le Lieutenant Colonel Menil, Chef d’Etat Major du Général Ebeuer va venir également voir le secteur du 316. Nous l’attendons vainement. J’appends ensuite, par une conversation téléphonique, que le Colonel Mesnil a bien pris le chemin qui mène de Saint-Pierre aux tranchées, mais il a trouvé que c’était trop loin et a rebroussé chemin. Il a aussi bien fait, car je doute que la veste rouge de Spahi marocain lui eut bien réussi face aux tranchées allemandes.

tirailleurs-marocains-1914

Tirailleurs marocaine – 1914

Vers 16h, incident amusant devant les tranchées de la 23e. Un cheval blanc a été vu circulant de ce côté, venant de la direction des tranchées allemandes, et portant au cou une sorte de paquet ficelé. Le Capitaine Cazenavette, commandant le 23e, a fait abattre le cheval à coup de fusil et un sergent du Génie est allé chercher le paquet qui contenait deux numéros de la NeuHamburger Zeitung, du 10 octobre, une édition du matin et une du soir; plus une feuille de carnet où était écrit en français un billet ayant à peu près le texte suivant : « Bonjour Français, vous ne savez peut-être pas qu’Anvers s’est rendue et que le croiseur « Hawk » a été coulé. Vous apprendrez bientôt d’autres choses. Vous pouvez garder vos malades, car nous avons bien assez de prisonniers français en Allemagne. Les Russes ont été battus à Pszemyl. Au revoir. Les Prussiens »
Ce billet n’est pas méchant, c’est une gaminerie quelconque; il est d’ailleurs courtois et croit nous apprendre des nouvelles stupéfiantes. Or il y a bien 8 ou 10 jours que nous connaissons la prise d’Anvers.
Rentré à Saint-Pierre sans incident après une journée calme

Jeudi 22 octobre
Journée calme. Le matin, je suis monté au plateau du 507e avec 23 et 24 Compagnies. Ensuite, emploi du temps habituel : café au lait, toilette, correspondance. Déjeuner, bridge + 2,85. Relève du 5e Bataillon par la 6e. Nuit absolument silencieuse.

Vendredi 23 octobre
moulinsstouvent
Je suis allé à 7h environ visiter les tranchées de la 22e Compagnie et m’assurer que la tranchée de liaison à occuper par une escouade, et dont la construction avait été ordonnée hier, a été exécutée. Le travail a été fait, mais à mon avis un peu trop en arrière ; dans la journée, le travail sera repris vers la petite crête en avant.
Temps magnifique ; beau soleil. Les bois qui garnissent les deux versants de la vallée Moulin s/ Touvent – St Pierre ont des colorations de toutes les nuances, depuis le jaune clair, jusqu’au rouge, en passant par tous les verts. Mais les obus qui circulent dans les ravins, gènent un peu notre admiration.
Midi. La Ferme de Moulin. Moulin est toujours l’objectif de l’artillerie allemande. Un obus vient d’éclater juste sur une tranchée de la 23e Compagnie faisant 10 victimes, 3 morts et 7 blessés. Déjà, dans la matinée, un homme a reçu un éclat d’obus, et un téléphoniste du 263e a été blessé d’une balle, soit 12 victimes en tout. Les brancardiers du 316e envoyés à la ferme, ont dû faire demi-tour sous les balles. Le Médecin auxiliaire Navarrec et l’infirmier, envoyés à leur tour, ont pu arriver sans dommage, mais ne pourront rentrer qu’à la nuit. D’ailleurs, il ne sera bientôt plus possible d’avoir des relations avec la ferme pendant le jour, que par téléphone, et les blessés devront attendre la nuit pour être transportés. On prétend que les obus tombant sur la ferme viennent de deux directions : du ravin Ouest et du ravin Est, de l’M de Moulin s/ Touvent (carte au 1 / 80000), et que les allemands ne tirent que d’une seule de ces directions à la fois ; en outre, des roulements de voitures entendus parfois laissent supposer qu’il s’agit d’une seule pièce, de deux au plus, qui se déplacent. Ce renseignement a été transmis à la Batterie du 75e qui pourra peut-être l’utiliser.
C’est égal, Navarrec a dû être dans ses petits souliers en arrivant à la ferme Moulin Moulin. Il y a là une dizaine de mètres à traverser où on peut recevoir une balle bien facilement.
Rentré à St Pierre sans incident, relevé par Chopard.

Samedi 24 octobre
Dans la nuit nous arrivent des blessés de la 18e qui ont été attaqués dans des conditions particulièrement regrettables. Placés en avant des tranchées pour couvrir pendant la nuit des travaux du Génie, ils ont été fusillés par leurs propres camarades qui, dans la nuit, ont cru avoir à faire à une patrouille allemande. Total, un blessé est mort pendant le transport à St Pierre, un autre agonise au poste de secours, et deux ont été évacués par les ambulances. Les 21e et 22e sont allées ce matin sur le plateau de 5 à 7; je ne les ai pas accompagnées.
Journée calme. Bridge +5.10.
Je relève le 5e Bataillon à l’heure habituelle.
Vers 20h30, un obus tombe sur Moulin.Moulin, tue un caporal et blesse un homme. Un autre obus tombe dans une tranchée du plateau où le Génie venait de commencer son travail; le Génie a 1 homme blessé, et la 21e 1 sergent tué (), et 1 caporal blessé.
Vers minuit, alors que le Docteur venait de terminer le pansement des blessés, une vive fusillade éclate pendant que je causais au poste avec les affaires du Génie et le Docteur. Elle nous semble d’abord lointaine, et prévenir du front de la 14e division, puis, quand elle se calme un peu, nous constatons qu’elle vient du plateau du 21e et 22e; je téléphone à St Pierre pour faire mettre le 5e Bataillon sous les armes.
Enfin, tout cesse, et à ma grande stupéfaction, je reçois vers 2h des comptes-rendus de la 21e et 22e faisant connaitre qu’elles n’ont pas tiré, et que tout s’est passé devant la 219e. Les échos du ravin nous ont donné la plus singulière illusion d’acoustique que j’aie encore constatée. D’ailleurs tous les militaires présents ont été l’objet de la même illusion. A l’avenir, dès que des coups de feu un peu nombreux seront tirés, je prierai les unités de me rendre compte tout de suite de ce qui se passe. Tout cela ne me permet de dormir que vers trois heures.

Dimanche 25 octobre
Vers 6 h obus sur Moulin. 2 blessés qui était au feuillés. Décidément la 23e à la guigne en ce moment.
Reçu hier une lettre de Jacquot qui est vers St Michel, dans les tranchées comme nous. Rien de saillant dans la journée. Je suis relevé à l’heure habituelle par le 5e Bataillon.

Lundi 26 octobre
Je suis allé voir ce matin les deux Compagnies du plateau ; le rideau de taillis qui les cachent aux vues extérieures se défeuille de jour en jour et il sera bientôt très dangereux d’y séjourner à l’heure habituelle. Aussi ai-je obtenu du Colonel de changer l’emplacement à l’avenir on ira à la carrière. La journée est calme à Saint-Pierre mais on apprend dans l’après-midi que la compagnie de Moulin Moulin a 6 morts et 8 blessés d’un seul obus, toujours au même endroit (tranchée en avant de la ferme).
Depuis le temps que je dis qu’il y a lieu de faire évacuer cette tranchée, je crois qu’on va s’y décider ; le génie travaillera cette nuit à en creuser une autre à l’Est du ruisseau.
Bridge. + 1. 10.
La 24e remplace la 23e à Moulin, elle emporte des pare éclats et des sacs à terre. Petit à petit, on s’organise, mais c’est lent. Puisqu’on est réduit à la guerre de siège, tous les moyens spéciaux à cette guerre aurait du être mis en œuvre dès le début : étude et organisation d’ensemble des positions, sous l’impulsion du Commandement, mis à la disposition des troupes du matériel spécial nécessaire. Si on avait procédé avec cette méthode, peut-être aurions-nous eu moins de pertes.
Relève sans incident.

Mardi 27 octobre
La nuit a été calme. Rien à signaler da,s la journée. Vers la fin de l’après-midi (16h environ), vive fusillade sur le front du 265e. Déjà dans la matinée, une des tranchées de ce Régiment, au SE du bois de sapins, a reçu un obus qui a fait une quinzaine de victimes (dont 7 ou 8 morts); l’attaque de l’après-midi semble avoir pour objet de permettre aux allemands, soit de s’emparer de cette tranchée, soit plutôt de voir si elle est toujours occupée. Elle n’a d’ailleurs aucun succès ; la troupe ennemie qui l’a tenté rentre dans ses tranchées, non sans avoir encore infligé des pertes au 265e (2 morts et une dizaine de blessés). Il est vrai que l’ennemie a dû aussi écoper. Pendant ce temps, mon Bataillon reste dans ses tranchées et le 5e est à la disposition du Commandant de la Brigade à St Pierre. Le calme s’étant fait vers 17h, la relève de mon Bataillon a lieu avec un peu de retard. Je ne rentre à St Pierre qu’à 19h.
Je n’est rien reçu de Jeanne aujourd’hui; seulement une carte du Grand-père et une de Jacquot.

Mercredi 28 octobre
Monté ce matin entre 21 et 22 à la carrière Ouest de St Pierre. Rentre à 7 heures.
arras-002J’ai oublié de noter en son temps l’impression que m’a fait les nouvelles de l’incendie de l’Hôtel de Ville d’Arras. Ce monument m’avait tellement séduit le 27 août dans la matinée, que j’aurais volontiers pleuré de rage à cette nouvelle.
La journée est calme à St Pierre; le bruit court que nous allons aller à Bitry et être remplacé ici par le 265e; non officiel jusqu’ici.
Bridge : + 2.45.
Je relève le 5e Bataillon à l’heure habituelle et la nuit se passe dans le calme.

Jeudi 29 octobre
Depuis 8 ou 10 jours environ, un médecin monte au poste avec le Bataillon de tranchées. Dans mon Bataillon, le Médecin A. Major Dupont et le Médecin auxiliaire Navennec alternent. C’est aujourd’hui le tour du Dc Dupont.
Reçu une carte de René et une carte de Tours du 22.
Toute la journée, canonnade intense et presque ininterrompue. Il me semble que cel ne présage un repos un peu précaire. Je rentre cependant sans encombre à St Pierre; mais après le dîner, nous entendons vers l’Est une canonnade et une fusillade furieuses. Le Bataillon est alerté et se rassemble. Mais rien ne se produit dans le secteur du 316e, aussi le Bataillon est renvoyé dans son cantonnement. Je ne suis cependant pas tranquille car le vacarme continue devant le 7e Compagnie. Aussi, je me couche tout habillé.. A 23h30, nouvelle alerte, le feu s’étant étendu sur notre front. Au moment où les compagnies se rassemblent pour la deuxième fois, le sous-lieutenant Floch, venant du téléphone, communique que la ferme Moulin.Moulin est violemment attaquée. Aussi le Colonel envoie 2 Compagnies (22 et 24) à la réserve du Bataillon de tranchées, à la disposition du Capitaine Chopard. 21 et 23, sous mon commandement, et avec le Colonel, sont dirigé sur le plateau vers les tranchées de gauche du secteur. Les balles sifflent dans la nuit venant sans doute des tranchées  en avant du bois des sapins; il fait clair de lune. Je crois que personne n’est atteint pendant notre marche; le demi Bataillon est placé sur la lisière du bois, en ligne de section par 4. Nous restons là jusqu’à 3h1/2 environ, couchés, immobiles. Devant nous, une fusillade peu nourrie est échangée entre les tranchées adverses. De temps en temps, un ou 2 coups de canon sur nos tranchées.
puis tout se calme, reprend, se calme à nouveau; enfin, à 3h1/2, je reçois l’ordre de faire rentrer une Compagnie sur deux ; une du Plateau, une de la réserve de tranchées. Les 2 autres rentreront au jour. Il est 4h1/2 quand j’arrive à St Pierre.

Vendredi 30 octobre
Je me lève à 7h30; le canon tonne encore; je me demande ce que signifie cette activité des allemands: attaque ou départ ? La suite nous l’apprendra.
Pendant le déjeuner, je reçois une note me prescrivant de partir immédiatement avec mes Bataillons à ses emplacements de combat; une Compagnie est laissée à la disposition du Commandant de la Brigade. Je me porte donc avec 3 Compagnies vers la réserve du Bataillon de tranchées. Là, j’apprends que pour soutenir une attaque que doit faire la 37e Division vers 15h, je dois faire augmenter l’intensité du feu de nos tranchées; j’envoie la 21e doubler la 18e sur le plateau; la 24e reste en réserve, la 23e est portée en bordure de la lisière Est du plateau, puis poussé vers le Nord au delà de la caverne. Je me porte de ma personne à la caverne ; nous restons dans cette situation jusque vers 19h; tout autour, le canon fait rage, surtout le nôtre qui envoie une vrai pluie de fers sur les tranchées allemandes.
Fort heureusement, car pour se rendre à la caverne en plein jour, on a au moins 200m de terrain vu à traverser, et lorsque j’y suis passé avec mes agents de liaison, je m’attendais à entendre siffler les balles; mais les tranchées allemandes qui ont des vues sur ce passage devaient être sous le feu français à ce moment et nous n’avons rien eu. Entre 19h et 20h, je reçois l’ordre de faire la relève comme d’habitude, ce que j’exécute entre 20h et 22h.
La nuit est calme.

Samedi 31 octobre
Nous entendons dès le matin le bruit d’un combat à notre droite vers la 14e Division. Hier, malgré l’ordre qui nous a été communiqué, nous n’avons rien entendu du côté de la 37e Division. Probablement encore un lapin qui nous a été posé.
Dans la journée, même opération que la veille; le 5e Bataillon est alerté à St Pierre vers midi et dirigé sur ses emplacements.
L’action est beaucoup moins vive que hier. La relève est faite sensiblement à l’heure habituelle et je rentre à St Pierre vers 19h. Quand le Lieutenant Colonel arrive à la popote, il me fait une observation assez sèche, et qui m’est fort désagréable en présence des sous lieutenants qui sont là. Il s’agit de fractions de mon Bataillon qu’il a trouvé rentrant à St Pierre en désordre. L’observation me semble justifiée, mais elle aurait pu être faite avec plus de discrétion. Je prendrai des mesures pour éviter le retour de cette pagaille. Demain matin, je réunirai les Commandants de Compagnies et les chefs de section dans ce but.

 

 

Novembre 1914

Dimanche 1re Novembre
Nuit calme. Matinée idem, mais je reçois à8h l’ordre d’être en place avec mon Bataillon à 11h30. Encore un repos de fichu.
Au moment où je vais partir de St Pierre à 10h30, le vaguemestre me remet une lettre de Jeanne et une carte de René. C’est ainsi que j’apprends la mort de mon brave et fidèle ami Noblet, tué le 9 septembre à la Fère-Champenoise. Nous avions, ma famille et moi, éprouvé la bonté de son coeur et je le pleure sincèrement.
Toute la journée, le Bataillon reste sur ses emplacements de combats; on entend à peine un peu plus de canon que d’habitude.
Le soir, la relève a lieu comme à l’ordinaire, avec seulement quelque retard, et je passe la nuit au poste.

Lundi 2 Novembre
Je reçois vers 7h la visite d’un petit sous-lieutenant du 51 Arti chargé de la pièce de 80 dem. et aussi de chercher un emplacement pour son engin, et de repérer les tranchées au Nord du bois de sapins. Il me raconte qu’il a vu de ses yeux, dernièrement, une Batterie d’obusiers allemands, sauter sous les coups de 75, et que le Commandant de la batterie du 51 qui a fait le coup a été presque blâmé par certains chefs (Général de Division) pour avoir employé la-dessus 25 obus à mélinites. Et c’est ce même chef qui voudrait que nous nous emparions de tranchées allemandes ! S’il nous marchande ainsi l’appui de son canon, aucune attaque n’est possible; il devrait cependant le savoir.
ou bien, si réellement les approvisionnements en munitions sont très limités, qu’on ne parle plus d’attaques ! Il parait que celle de la 37e Division a réussi ces jours derniers.
Nous n’avons rien entendu, mais je crois que le ravin Touvent-les-Loges doit absorber tous les bruits venant de l’ouest.
La 37e aurait repris Quennevières et quelques tranchées voisines.
Notre 80, qui a tiré 16 coups, semble avoir réussi à repérer les tranchées au Nord du Bois de sapins. Son tir a été bon en direction et long de 20à 30 mètres.
Je lis sur le New-York Herald, édition française, que Corrignon a été tué le 8 octobre dans le Nord.
Relève sans incident à l’heure habituelle

Mardi 3 Novembre
bitry-ferme-du-cha%cc%82teauNous allons prendre quelques jours de repos à Bitry. Le 6e Bataillon part de St Pierre à midi et s’installe au cantonnement. Le 5e Bataillon n’y arrive que dans la soirée après avoir été relevé des tranchées par le 264. Je suis logé dans une maison au Sud de l’Eglise; ma chambre est propre et contient une table de toilette avec glace. Nous prenons nos repas au Presbytère. Le soir, je me déshabille complètement pour me coucher, ce qui ne m’est pas arrivé depuis le 24 septembre à Attichy.

Mercredi 4 Novembre
La matinée est consacrée aux soins de propreté. J’en profite pour prendre un bain de pieds chaud, luxe depuis longtemps inconnu.
Je monte à la ferme Connet voir la 21e Compagnie qui y est fort bien. Cette ferme dont les environs ont été couverts d’obus en a souffert en rien; elle continue à être habitée sans que les habitants aient l’air de manifester la moindre crainte. Il parait qu’elle appartient à un allemand (Faux). Tout s’expliquerait de cette façon. L’après-midi,les Compagnies vont occuper certains abris voisins du village; je retourne à Couvert avec les Commandants de Compagnie qui ont à reconnaître les tranchées à occuper en cas d’alerte.
Puis Bridge -2,65
mardi 3 novembre, l’officier payeur est venu payer la solde; je lui ai laissé 400 francs qu’il doit faire parvenir à ma famille en un mandat carte qu’il prendra aujourd’hui à Paris où il est envoyé pour le service.

Jeudi 5 Novembre
De 10h30 à 17h, les Compagnies se rendent sur des emplacements reconnus hier à l’extérieur du village, et travaillent à l’amélioration des ouvrages existants.
Je monte à cheval à 19h15 avec mon Maréchal des Logis, et après avoir visité le 22e, 23e et 24e Compagnies, nous poussons jusqu’à l’entrée Est d’Attichy, par le petit chemin de terre qui longe le pied Sud des hauteurs de Gamet.
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Au retour, un petit temps de galop dans les champs détend nos chevaux qui en ont un grand besoin, car ils ne sont montés que rarement. Pour mon compte, le service des tranchées m’a empêché pendant plus d’un mois de me servir de mon cheval.
Nous recevons aujourd’hui les ordres pour les nouvelles façons de faire la relève; nous partons d’ici le 10 pour les tranchées et le secteur Ouest continuera à nous être affecté.
Nous passerons 8 jours à St Pierre et aux tranchées, et nous reviendrons ensuite à Bitry passer 4 jours. Mais combien de temps allons-nous donc rester ici ? Nous entendons très peu de canon aujourd’hui; que signifie ce silence relatif ? Vers 16h, un avion allemand passe au dessus de Bitry, se dirigeant vers le S.O. Notre artillerie et une mitrailleuse le canarde sans succès. Il continue. Va-t-il sur Paris ?

Vendredi 6 Novembre
On est ce matin à Jauley, le lieutenant de Vogüe du 264, blessé mortellement à St Pierre d’un éclat d’obus le 3, jour où nous sommes venus à Bitry.
C’est une promenade à cheval avec Laferrière à Attichy. La longue station dans cette région, au cours de laquelle je ne monte plus à cheval , m’a raidi les reins. Où sont mes promenades quotidiennes et matinales des environs de Vannes ?
Nous avons reçu aujourd’hui un détachement 150 hommes avec les Lieutenants Plat, Leblond, Crétineau et Ribot. Crétineau m’apporte une lettre de Jeanne datant de deux jours.
18 h. Un soldat de mon bataillon vient de gifler son sergent. Je vais être désigné pour présider le Conseil de Guerre qu’il le jugera. Ce malheureux peut-être condamné à mort et exécuté sans délai. La discipline en campagne a les rigueurs nécessaires.

Samedi 7 Novembre
Rien de particulier dans la matinée. Après déjeuner bridge + de 2f50.
À 16 h, réunion du Conseil de Guerre chargé de juger le malheureux qui a giflé son sergent. Il s’en tire avec cinq ans de travaux publics. La défense a été présentée par Brétineau qui a fait une petite plaidoirie très bien tournée, avec une pointe d’émotion. C’est une tête sauvée ; Il en tombe tant autrement dans cette affreuse guerre. La discipline n’en souffrira guère puisque la peine prononcée est très sérieuse.
Grégoire m’apporte mon reçu du mandat la carte expédiée à Jeanne (400 Fr. francs envoyé de Paris le 4 novembre).
Menu du déjeuner : cervelle au beurre noir. Rognons sautés. Fromage. Riz
Dîner : soupe au lait. Huîtres. Lapin sauté. Salsifis. Camembert. Crème au café. Vin de Saumur.

Dimanche 8 Novembre
Jeanne m’apprend que Jacquet a été nommé Chef de Bataillon à daté du 19 octobre. Carte de félicitations.
Mon condamné d’hier demande à être maintenu sur le front jusqu’à la fin de la guerre et à ne faire qu’ensuite sa peine. Nous verrons ce qu’il en adviendra. Je suis favorable à cette combinaison qui nous laisse un homme ayant une faute à racheter.
Petite promenade à cheval à Attichy. Bien insuffisante, car elle ne dure guère qu’une demi-heure. Avant dîner, bridge – 0,80.
Les communiqués officiels confirment une victoire russe en Galicie (1800 Autrichiens prisonniers donc 174 officiers, matériel etc.).

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Extrait de L’Illustration, en nov 1914 : charge de cavaliers russes sur les lignes austro-hongroises, dans les Carpathes, alors que l’armée impériale s’apprête à entrer en Hongrie.

On prétend autre part que les Allemands auraient ces jours derniers, dans le Nord, 38 000 tués, ce qui paraît un peu gros. Si il en était ainsi, ce chiffre de tués supposerait bien 100 000 hommes hors de combat. Et puis le Kronprinz aurait été tué aussi.
Nous n’ajouterons fois  que sur de nouveaux renseignements officiels.

Lundi 9 novembre
Pas de nouvelles de Vannes aujourd’hui. Les reins font un mal de diable ; néanmoins je monte à cheval et je pousse par Attichy jusqu’à Berneuil; au retour, mon lumbago me fait plus souffrir que jamais. Décidément, Il faut que j’ai recours à la Faculté.
Mon lumbago est tout simplement de l’arthrite sacro-iliaque; Dupont m’a mis de la teinture diode et donné des comprimés d’aspirine. On verra bien les résultats.
Réunion des officiers par le lieutenant-colonel à 17 heures. Il nous parle de l’éventualité d’une offensive, et de la façon de l’envisager ; offensive générale, bien entendu. Nous pouvons en effet en recevoir l’ordre d’un jour à l’autre. Bridges + 6.70

Mardi 10 Novembre
Nous allons quitter Bitry  aujourd’hui pour reprendre le service des tranchées ou le 6 Bataillon relèvera ce soir le 260 dans le secteur ouest ; Le 265 va rentrer à Bitry. Le 5e Bataillon quitte Bitry à midi ; le 6e à 16 h ; je vais relever le 264. Rien de bien nouveau dans ce secteur.
A la relève, une section de la 22, désignée pour aller occuper, en avant de la grande tranchée du plateau, une tranchée qui aurait été occupée les autres nuits par le 264, s’égare et pousse jusqu’à la grande tranchée Allemande, où elle est accueillie à coups de fusil. En rentrant, un de ses hommes est tué. Dans le courant de la nuit, des patrouilles sont lancés dans la direction de la tranchée à occuper et y trouvent les Allemands.
Grande discussion entre le lieutenant-colonel et le sous-lieutenant Chenis pour avoir des renseignements précis à ce sujet. Un rapport d’un sous-lieutenant du 264 semble établir qu’il y a confusion entre deux tranchées : celle qui a été occupée plusieurs nuits de suite par la 264 ne semble pas être la même que celle qu’on a trouvé occupée par les Allemands ; Du moins c’est mon opinion. De nouvelles reconnaissances nous fixerons à ce sujet.
Reçu une carte de Jeanne, une carte de Guidou, une lettre du commandant Daudeteau.

Mercredi 11 Novembre
La question de la tranchée ci-dessus nous a occupé toute la journée. Aucune solution n’est intervenue. Reçu une carte de Marie 3 novembre. La journée se passe tranquillement. J’ai décidé de coucher dans la chambre qu’occupe Chopard; nous alternons. La popote est installée dans une maison abandonnée, nous n’avons pas le confort du presbytère de Bitry, il s’en faut.

Jeudi 12 Novembre
Alerte à 4 h . Départ à 5h15 pour les emplacements de réserve. Le 7e Corps attaque à notre droite et la 37e division à notre gauche. La question de la tranchée Allemande fait l’objet de toutes les préoccupations ; M Chemin reçoit l’ordre d’aller voir si elle est ou non occupée ; dans ce dernier cas, il l’occupera avec une section. Attendons le résultat de cette opération qui peut-être un peu risqué.
10h30. La section Chemin a occupé sans coup férir la fameuse tranchée. Félicitations. Il en rapporte un casque Boche sans attribut et un chargeur. Cette tranchée s’appellera à l’avenir la tranchée Chemin, décision du Général de brigade. Je m’étais donc trompé ; la tranchée Chemin est bien celle qu’ont occupé les Allemands ; il n’y avait sans doute qu’un poste d’écoute; d’ailleurs, elle est tournée contre eux. Dans la journée, nous y avons deux blessés.
La compagnie de la Caverne a tué un allemand de 21 ans du 85e de réserve
L’opération du voisin se continue et se manifeste par une assez vive canonnade; chez nous, c’est calme. Toutefois, le bataillon de réserve/5 reçoit l’ordre de passer la nuit dehors, à proximité des tranchées ; deux compagnies sont à la réserve de bataillon, et deux compagnies sur la lisière du plateau au Sud de la grande tranchée. La nuit est calme également.

Vendredi 13 Novembre
Dans la matinée, je vais voir la fameuse tranchée Chemin ; on n’y a travaillé toute la nuit, et on n’y accède maintenant facilement et à couvert par un boyau qui a été fait dans la nuit. On a en même temps prolongé la tranchée vers l’Est de façon à y mettre 2  section. En somme ,cela nous fait une bonne avance puisque nous ne sommes plus qu’à 200 ou 250 m des tranchées allemands du Plateau.

Mardi 17 Novembre
La nuit a été assez agitée. Pas d’incidents graves, mais des communications téléphoniques fréquentes ; aussi ai-je peu dormi.Un homme a été tué cette nuit pendant le travail. Dans la matinée, le Lieutenant Cousin se rendant dans la partie Est de la nouvelle tranchée pour répartir sa compagnie, a été tué d’une balle à la tempe. Un peu plus tard un sergent de sa compagnie, Le Ridant a été tué par un obus au moment où il allait chercher le corps de son Lieutenant. Cette nouvelle tranchée nous coûte déjà cher. Les obsèques auront lieu demain à 8h30.
Dans l’après-midi, notre 75 cherche à atteindre un ouvrage allemand établi à 16 m environ au NO de la Grotte; il réussit à taper dessus et à démolir une vingtaine de mètres de parapet.
Rentré à Saint-Pierre vers 18 h.

Mercredi 18 Novembre
Nous avons enterré ce matin à 8h30 le Lieutenant Cousin et le sergent Le Ridant, tués hier dans la tranchée qui portera désormais le nom de tranchée Cousin. Les corps sont déposés au cimetière militaire établi à l’Est de St Pierre-les-Bitry, à 200 m au-delà du ruisseau, à 10 m environ au sud de la route de Saint-Pierre a Autrèches. La messe a été dite par l’abbé Robreau, sergent brancardier du 316. Le lieutenant colonel Pleyette et le Général Delarue ont parlé. Le général Deprez, commandant la 61e division, assistait à cette triste cérémonie.
À midi, mon bataillon se rend à Bitry où le régiment va cantonner pendant 4 jours. Je reprends la chambre que j’y occupais au dernier séjour. Nous nous  ré-installons dans l’après-midi. La popote est comme toujours au presbytère.
Menu : soupe à l’oignon; Omelette aux pommes de terre ; Poulet rôti; foie gras; Vouvray.

Jeudi 19 Novembre
Je me lève tard; ce n’est pas pour rien que nous sommes au repos; je fais une longue toilette (Bain de pieds, barbe, etc.)
Je mets du linge propre et je me présente pour prendre mon petit déjeuner à 8h35, alors que les camarades ont fini depuis longtemps. Il a gelé assez fort cette nuit, aussi je sors avec mon cache-nez et mes gants fourrés; j’ai mis pour la première fois un des caleçons de laine que Jeanne m’a envoyé ; ils sont d’une ampleur telle que je puis engraisser encore d’une trentaine de kilos.
Dans l’après-midi, je vais faire un tour à la ferme Gamat et aux tranchées en avant. Puis je rend au Presbytère où je fais ma correspondance. Il est tombé un peu de neige aujourd’hui. Le service des tranchées va devenir diablement dur.

Vendredi 20 Novembre
Il a gelé fort cette nuit, et mon ordonnance n’est arrivé ce matin avec du givre sur son cache-nez. Il fait d’ailleurs à temps magnifique.
Dans l’après-midi, j’ai fait une promenade à cheval jusqu’à Berneuil. Les routes sont très désagréables. Comme d’autre part mon arthrite sacro-iliaques semble se réveiller, je ne monte pas aujourd’hui. Après le déjeuner, le Docteur Dupont nous a tous photographiés, nous membre de la popote, de le jardin du presbytère.berneuil-sur-aisne

Samedi 21 Novembre
Simple promenade à pied jusqu’à la tranchée nord de Guitry, et rentré au presbytère, au chaud, puis bridge.
Reçu aujourd’hui un détachement de dépôt qui m’apporte une lettre et un paquet contenant un gâteau et un saucisson. Le gâteau, d’après un petit mot de René, a été entamée par le petit « lapin blanc ». Bonne Choute ! quel plaisir m’ont fait ce paquet et ce petit mot ! Le gâteau a été mangé à notre vie.

Dimanche 22 Novembre.
Toujours la gelé et le soleil. Temps magnifique, mais dur pour notre métier. Reçu un mot de Jeanne et une carte de Duchat, qui doit certainement être du côté de Tracy, d’après ce qui me dit : «nous combattons sur la même rivière ».
Le régiment quitte aujourd’hui Bitry, le 5e Bataillon à 13 heures, et le 6e Bataillon, qui va aux tranchées, à 16h15. Je vais passer sans transition du presbytère chauffé de Bitry au poste glacial du Commandement. Et j’ai le frisson d’avance. Le Colonel nous a lus hier des ordres du groupe Ebereur au sujet des tranchées, en particulier il faut aménager la grande tranchée du plateau en position imprenable, et plus en avant un réseau de fil de fer de 10 m de profondeur. Travail qui doit être fait d’ici quatre jours. Les Pontifes ont donné cet ordre se doutent-t-ils qu’on ne peut travailler à cet endroit que la nuit et que 10 m de réseau sur 300 ou  400 m de long, cela fait 3000 ou 4000 mètres à couvrir de fil de fer ? Je doute fort de la réalisation de cet ordre dans le temps donné.
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18 h. Il paraît que le 264e a fait un réseau de 6 m sur 200 m de long; dans ces conditions de travail est possible, mais c’est à vérifier.
Me revoilà au Poste de Commandement. Le temps semble s’être adouci.

 

 

Lundi 23 Novembre
J’ai assez bien dormi, mais j’ai eu froid aux pieds, malgré les précautions prises pour me couvrir : bonnet de polaires rabattus sur les oreilles, cache-nez, gants fourrées, deux couvertures dont l’une enveloppe les pieds. La nuit a été tout à fait calme sur mon front, mais on entend toujours vers l’Est de grosses canonnades de nuit et de jour et de la fusillade. Que se passe-t-il du côté de Soissons ? Le bruit courait hier que les Allemands devaient fournir un gros effort de ce côté là. Il paraît certain que leurs attaques en Flandre sont enrayé ; aussi vont-ils sans doute chercher à percer ailleurs. Les sapeurs placent aujourd’hui une porte vitrée au poste de commandement; elle nous permettra d’être clos pendant le jour, tout en ayant de la lumière ;  cette amélioration est dû à mon initiative.
Le  316 reçoit aujourd’hui un nouveau chef de bataille, le commandant Berthoin venu du 44e où il était major. Le colonel avait l’intention de placer le capitaine Chopart à la tête du 19e Compagnie, mais je lui suggéré de le prendre comme adjoint, emploi réglementaire et qui fera mieux l’affaire de Chopard que le commandement d’une Compagnie dans les tranchées. Je rentre à St-Pierre vers six heures, et je m’installe dans la chambre de Chopard, dernière maison à gauche sur le chemin d’Autrêche.
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Mardi 24 Novembre
J’ai reçu hier soir une lettre de Jeanne apportée par Navennec; il est probable que je n’aurai rien ce matin. Si, j’ai une autre lettre de Jeanne et un envoi d’Angers me retournant les deux dernières cartes que j’avais écrites à notre pauvre ami Noblet. Triste correspondance ! Le colonel est allé avec Leroy voir les positions du 44e ; au retour Leroy nous laisse entendre que nous allons être appelé à remplacer le 44e ; proposition qui me plaît qu’à moitié; je suis habitué à mon secteur, que je connais suffisamment. Je relève à l’heure habituelle le 5e Bataillon. Peu après mon arrivée au poste, je reçois un coup de téléphone me prescrivant de faire observer avec soin les roulements de voitures chez les allemands et de rendre compte aussitôt. On a entendu en effet, des déroulement de gros véhicules, vers 21 heures, paraissant se diriger vers l’Est. Ces préoccupations paraissent confirmer les bruits qui court depuis trois jours, que les Allemands auraient l’attention de tenter un gros effort dans la région Reims – Soissons. Il y aurait là un glissement vers l’Est, qui se ferait parallèlement chez l’ennemi et chez nous.

Mercredi 25 novembre
La nuit a été fort calme, et j’ai dormi parfaitement bien; il fait d’ailleurs chaud aujourd’hui dans la cabane. Il a neigé une partie de la nuit, et nos bois sont blancs. Un coup de téléphone de Chopard me prévient ce matin que nous allons abandonner ce secteur qui passe moitié au 219e (le plateau), moitié au 264e (le ravin) pour aller remplacer le 44e sur le plateau de Sainte Léocade. Allons, je vais regretter ce coin où je vis depuis deux mois, dans une relative tranquillité; j’en connais tous les détails, et il va falloir me mettre au courant d’une nouvelle région, cependant toute voisine de la nôtre.
Reçu aujourd’hui un courrier abondant : trois lettres mises à la poste à Vannes les 19, 20 et 21. Mes petits vont bien je n’ai pu répondre qu’une modeste carte, je suis démuni de papier.
13 h. Les téléphonistes démontent les lignes qui relient le poste aux compagnies; il paraît que le Poste va être abandonné. Et ma belle porte vitrée, que j’ai fait placer il y a deux jours ! Vais-je m’attacher bêtement aux choses, alors que je devrais être détaché de tout ? Le Destin – la Providence plutôt nous emporte où il veut; restons confiants.
Je rentre à Saint-Pierre sans s’être relevé puisque nous notre secteur passe moitié au 219 et moitié au 265.
Le colonel nous explique après dîner l’organisation de notre nouveau secteur que j’irai visiter demain avec mes officiers.
Je couche ce soir dans une une chambre bien médiocre, où j’alternerai avec le Commandant Berthoin. Le 5e Bataillon relève le 44e à Sainte Léocade.

Jeudi 26 novembre
Reconnaissance de ce matin sur nouveau secteur. Nous avons bien fait 4 ou 5 km dans les boyaux ; heureusement qu’il faisait du brouillard car il a fallu parcourir 5 ou 600 m à découvert sur le plateau et qui aurait été plutôt dangereux par temps clair. Je rentre à midi pour déjeuner. Ma reconnaissance de ce matin m’a privé de voir le vaguemestre ; j’ignore si il avait quelque chose pour moi. Quoi qu’il en soit, je puis quand même faire partir une carte griffonnée à la hâte.
Bridge dans l’après-midi +4.
Je pars à 16h15 avec mon bataillon pour prendre la garde dans le secteur de Ste Léocade. Relève très longue en raison de l’unique boyaux qui conduit aux tranchées. Le nouveau poste de commandement est assez spacieux, mais laisse à désirer comme organisation intérieure. Il n’y a pas de table, ni de lit de camps ; on couche par terre; voilà du travail pour perfectionner l’installation!

Vendredi 27 novembre
La nuit a été très calme, et je n’ai pas eu froid dans mon terrier malgré quelques courants d’air. Le 23e qui est en première ligne a apporté hier soir jusqu’à hauteur de la 21e (3e ligne) environ 150 rondins. J’ai donné l’ordre à la 21e de les faire transporter cette nuit à la 23e ; or Cazenovatte me téléphone qu’il n’en a reçu que 18. Je fais recommencer la corvée dans la matinée. Pendant la nuit, le Génie a travaillé, avec des fantassins, par relier Rivoli avec le Métro (1re ligne de la 23e). Le 21e a fait enterrer 5 cadavres du 60e qui sont probablement sur le plateau depuis le 22 ou le 23 septembre. Sur eux, on a retrouvé 2 porte-monnaies contenant d’assez fortes sommes (29 Fr. et 60 Fr. environ), et un carnet de route arrêté au 22 sept.
7h30. Nous entendons dans le lointain sur notre gauche un crépitement de mitrailleuses ; que se passe-t-il de ce côté là? On a d’ailleurs tirer des coups de fusil isolés toute la nuit vers la gauche, probablement du côté de Touvent ou au-delà.
Décidément les postes téléphoniques ont des noms pittoresques : dans mes environs, j’ai Léocade,  le Courant d’air, et le Métro.
La journée se passe de façon très calme un peu de canon sur notre gauche vers 10h30 sur Rivoli ou le Mamelon, puis plus rien de la journée. Un sous-lieutenant du 47e d’artillerie vient me voir au poste dans l’après-midi pour se mettre en liaison. Sa batterie, qui est en arrière du hangar détruit a repéré tous les points importants des positions ennemies à 25 m près; son croquis de repérage indique la dérive et la distance, tant pour les obus à balle que pour les obus explosifs. Son observateur est à Courant d’Air, et d’un coup de téléphone, il peut envoyer un obus au point voulu. Sa liaison est précieuse.
Rentré à Saint-Pierre sans incident à 18h50.
Les journaux d’aujourd’hui nous signalent une victoire Russe ; on parle d’un nombre considérable de prisonniers. Quelle sera la répercussion de cet événement sur la situation en France ?

Dimanche 29 novembre
La nuit a été fort calme.
Dans la matinée, 3 obus allemands sont tombés sur la tranchée Métro, sans causer autre chose que des dégâts matériels.
Dans l’après-midi, ces bougres là continuent à canonner notre secteur, et un obus éclate quelques mètres en avant de mon Poste; d’ailleurs aujourd’hui, la canonnade a été assez fréquente de part et d’autre. Jusqu’ici (16h15), on n’a signalé aucune perte. J’espère qu’ils nous laisseront après la relève sans dégâts.
21h30. La relève s’est faite sans incident, on a signalé du côté de Tracy une forte fusillade avec mitrailleuses et canon vers 19h; puis tout s’est tû.

Lundi 30 novembre
Journée au calme à St Pierre. A 13h45, le Bataillon part à Bitry, emmenant le Drapeau déployé. Depuis quelques jours, des cas d’ivresses se produisent; des débits clandestins ont été ouverts dans les localités occupées par nos troupes. Le Général de Brigade me fait appeler à son logement à Bitry pour me prescrire, comme Major du cantonnement, de faire une enquête sur les débits existants.
Il parait que le secteur de Ste Léocade a été canonnée assez vivement aujourd’hui, sans pertes.
Bridge de 5 à 7 +35.
Les journaux d’aujourd’hui publient les textes de l’ordre adressé par le Général Joffre à la VI Armée le 10 septembre et que je me souviens d’avoir copié le 11 entre Nanteuil et Crépy en Valois, assis dans la poussière. Ce nous est une occasion de rappeler, à table, cette retraite d’Arras qui a été si dure, du 25 aout au 1re septembre. Décidément, cette période reste dans le souvenir de ceux qui l’ont vécue.
Je reprends ma chambre habituelle à Bitry.

 

 

 

 

 

 

Décembre 1914

1914 Positions 15 nov

Mardi 1re Décembre
Lever à 7h. Toilette, bains de pieds, changement de linge; le séjour à Bitry est précieux pour ces détails personnels. Le vaguemestre me donne une carte de René et une lettre de Jeanne ; toujours rien pour La Flèche. Je commence à craindre qu’on ne veuille pas y recevoir mon grand.
La journée est consacrée aux travaux de propreté et à une revue des Capitaines ; les Chefs de Bataillon en passeront une demain matin. Puis on passera aux exercices de combat.
Il parait que quelques obus allemands sont tombés aujourd’hui vers St Pierre ; j’apprends cela au cours d’une courte promenade à cheval à Attichy.
On annonce un détachement de renfort pour le 316 qui doit arriver ce soir ou demain matin. Le détachement serait partie à Pierrefond, partie au Bourget. Le Capitaine Chopart, adjoint au Colonel est envoyé en auto à Pierrefonds pour remettre un peu d’ordre là dedans.
Grégoire, l’officier payeur nous prévient que le taux d’indemnités de vivres a été rogné. je crois que j’y perdrai 2 francs par jour ; je les regrette pour mes petits à qui je ne pourrai pas envoyer autant.

Mercredi 2 décembre
Le détachement arrivé hier m’apporte une lettre, plus deux du vaguemestre ; cela me fait trois le même jour. Je suis navré que le Ministre n’ait rien fait connaître pour René ; la Flêche prend bien Claude Vigy !
Passé ce matin la revue de mon Bataillon ; c’est une troupe de vieux, qui sont bien peu militaires ; les territoriaux vont bientôt prédominer ; je ne les crois bons qu’à la guerre de tranchées ; ils seraient bien lourds au combats en rase campagne.
Le Général de Brigade doit passer la revue du Régiment ce soir à 19h30.
15h30. Ma fois, mes vieux ne se sont pas trop mal présentés. Le Général a fait exécuter une charge à la baïonnette qui a encore fait son petit effet, malgré quelques traine-la-jambe. Mais que de bruits sous les armes ! Comme on voit bien tout de suite à qui on a affaire ! Une partie de ceux arrivés hier ont 41 ans !
Reçu par le détachement un colis contenant : 1 chandail en tissus des Pyrénées, 1 cravate de laine marron, 1 passe-montagne, 2 mouchoirs de couleur (bons pour mon rhume de cerveau!) et 3 épingles de nourrice.
J’ai tout mis dans ma cantine jusqu’à ce que le froid m’oblige à les sortir.
On a enterré ce matin à St Pierre un sous-lieutenant du 265 tué par une balle dans la tranchée ; je n’ai pas pu y assister.

Jeudi 3 décembre
J’ai passé ma matinée à compléter mon enquête sur les débits de boissons de Bitry. Je reçois du Ministre un avis me prévenant que je figure comme légataire, avec 9 autres officiers sur le testament de mon pauvre ami Noblet.
Il a fallut que je trotte encore cet après-midi pour ces poivrots ; et j’ai un rapport à faire pour demain matin. Que le diable les emporte ! J’avais bien envoyé au Colonel mon rapport au crayon, mais il parait qu’il ne peut pas être transmis ainsi à la Brigade ! Comme si j’avais un bureau, du papier et de l’encre dans mes poches !

Vendredi 4 décembre
Des modifications ayant été faites à l’occupation du secteur, me voilà obligé d’aller y faire une reconnaissance dans l’après-midi. Rendez-vous à 13h au hangar détruit. Je me rends jusqu’au poste de commandement, mais le temps me ferait défaut pour parcourir tout le secteur et revenir chercher mon Bataillon. Ainsi, je reviens à Bitry sans être allé en première ligne.
Pendant que j’étais en poste, une dizaine d’obus éclatent tout près des tranchées du point A. Il n’y a pas de dégâts.
Je n’ai pas de lettre de Jeanne aujourd’hui ; je reçois seulement une carte d’Aimée, du 19 octobre.
Je relève sans incident le 264 à la nuit close. Le Général Elener a visité aujourd’hui les tranchées de Rivoli et est revenu par Sainte Léocadie.

Samedi 5 décembre
J’ai mal dormi cette nuit; je suis resté éveillé jusqu’à vers 2 heures du matin. A 7h1/2, après avoir pris mon petit déjeuner, je suis parti avec l’adjudant Dusset visiter les tranchées de 1ère ligne.
Dans le ravin de Moufflaye, en traversant une partie découverte, nous avons été salué par deux balles qui n’ont atteint personne. Nous sommes revenus par le hangar détruit, et la Compagnie de réserve.
Le vaguemestre m’apporte 2 lettres de Jeanne du 29; l’une m’annonce que René n’est pas accepté à La Flèche, faute de place. Le pauvre enfant va travailler de façon insuffisante cette année; il supporte le poids de ma pauvreté qui m’empêche de le mettre interne dans un lycée où il préparerait St Cyr. J’en suis navré pour son avenir. Ce sont toujours les pauvres gens qui écopent malgré leur bonne volonté. Ne désespérons pas : il pourra peut-être, à Vannes même, préparer son bachot, et si je reviens de cette campagne, j’aviserai ensuite.
Journée assez calme : notre artillerie envoie pas mal de projectiles sur les gens d’en face, aussi ceux-ci sont-ils presque muets. Il parait qu’ils font des tentatives pour se mettre en relation avec nous de tranchée à tranchée; il a été signalé hier, qu’à Moulin-Moulin, un officier allemand s’est présenté sous la protection du drapeau blanc, demandant qu’on lui fasse passer des journaux français. Ce peut être une simple ruse pour savoir comment nos tranchées sont occupées, et comment on y accède; ce peut être aussi curiosité de savoir comment la situation est appréciée chez nous.
Chopart est évacué aujourd’hui pour courbature fébrile.
Je rentre à St Pierre par une boue affreuse, et je couche à l’Optique, chez le Maire, où j’alternerai, comme d’habitude, avec le Commandant Berthoin.

Dimanche 6 décembre
Assisté à une messe dite par l’abbé Ginvrant, téléphoniste.
Je suis chargé de préparé un rapport sur les militaires du Régiment faits prisonniers depuis le début de la campagne. Ma foi, j’en connais peu en dehors de la bagarre de Touvent, le 207e. Il y a Vuarnet, et c’est tout je crois.
J’ai écrit à Jeanne de chercher pour René, et si c’est nécessaire, des leçons particulières pour compléter les cours de J. Simon. Peu importe que ces leçons soient donnes par un prêtre, ou par un laïc; l’essentiel est que cet enfant continue ses études dans de bonnes conditions.
Rien de particulier aujourd’hui. Fait un bridge -10.
Ecrit au Juge de Paix d’Angers NE, à Maurice et à Barthélémy. Donne 10F à Douet et acheté un paquet de bougies à Ribeau 1.15.
Relevé à l’heure habituelle le 5e Bataillon.
Les boyaux sont dans état immonde et j’arrive au poste plein de boue.
Le secteur a été aujourd’hui très fortement canonné, sans dégât d’ailleurs.
Il pleut constamment et la nuit est obscure, malgré que la lune soit dans son plein.

Lundi 7 décembre
Des travailleurs de la Compagnie de réserve mis en 1ère ligne à la disposition du Génie sont rentrés vers 7 heures en suivant la chaussée au lieu des boyaux, qui sont d’ailleurs affreux. Un obus allemand a vite fait dégringoler un gaillard dans la boue des boyaux.

Somme

Personne, je crois, n’a écopé, mais c’est une leçon.
Entre 11h et 11h 1/2, 8 obus viennent éclater aux environs du poste; aucun dégât. A partir de 14h, c’est au tour de notre artillerie de tirer d’une façon assez vive. Les Allemands répondent peu, du moins jusqu’à 14h1/2.
Reçu ce matin une carte de Dédé me demandant l’autorisation de porter ma capote noire; bien entendu, j’ai répondu « oui » immédiatement à ce cher enfant.
Reçu aussi une lettre du 7 novembre du Juge de Paix d’Angers NE. J’écris tout de suite au notaire Maître Fery à Angers. Si la réponse se fait attendre aussi 1 mois !
Encore quelques obus sur nous entre 15 et 16 heures. La rentrée à St Pierre est diablement dure par les boyaux remplis de trous, dans une obscurité épaisse. J’y perds un talon de soulier dans la boue gluante.

Mardi 8 décembre
Le bruit court, venant du cuisinier de l’intendant (!!!) que la Brigade serait dirigée prochainement vers l’Est.
En outre, on demande aux Compagnies de faire connaître le nombre de brodequins nécessaires pour être en état de reprendre les opérations. Sortirions-nous enfin de nos trous ? Mais tout ça, ce sont les rapports de cuisiniers. Bridge -26.
Je remonte aux tranchées. Deux fusillades successives et assez violentes vers 20 h du côté du Bois de Sapin. Rien devant notre front. L’ennemie lance quelques fusées éclairantes; notre canon tonne une vingtaine de coups, puis tout se calme. Il parait que , dans la journée, le point A a reçu un certain nombre d’obus, explosifs dit-on. Demain matin, j’inaugurerai le nouveau Poste de Commandement. On y travaille encore cette nuit.

Mercredi 9 décembre
Je fais aménager le nouveau Poste, mais tout est à faire à l’intérieur; il ne sera réellement habitable que demain. Je m’y installe néanmoins car il a plu dans l’ancien cette nuit.
Je reçois du Colonel un coup de savon par téléphone au sujet de l’enquête sur les prisonniers. Il aurait voulu que je précise davantage l’affaire de Touvent (20 septembre) en interrogeant des témoins. Mais il y a longtemps que j’ai cherché à avoir des renseignements à ce sujet, près de Cévry ou de Patte, et je n’ai rien obtenu de précis. D’ailleurs, ceux qui y étaient sont prisonniers, et ceux qui n’y étaient pas n’ont rien vu et ne savent rien.
Je n’ai aujourd’hui aucun courrier. Cela ne m’arrive pas souvent, mais me prive de ma joie quotidienne.
Assez vive canonnade entre 14 et 15h aux environs du poste; je crois que ce sont de gros obus, mais qui en éclatant, projettent une sorte de grenaille de fer sans grande efficacité. Au Bastion Brunchant, un obus de 77 tue un sergent et un homme.
La pluie reprend au moment de la relève; cette rentrée à St Pierre par les boyaux gluants est pénible et j’arrive fatigué.
Je croyais trouver quelques correspondances en rentrant; rien ! C’est pourtant le courrier de demain qu’on a distribué ce soir. Que se passe-t-il chez mes chers petits si je suis deux jours sans lettres ?

Jeudi 10 décembre
Un autre bruit, propagé hier, ferait croire que la division doit être sous peu retirée du front, et remplacée par des troupes actives en vue d’une offensive générale.
D’autre part, nous recevons l’ordre aujourd’hui d’avoir terminé nos fils de fer pour le 12 au matin. Que doit-il sortir de toutes ces vagues indications ? En outre, je reçois ce matin une carte des opérations russo-turques, ce qui fait dire aux mauvais plaisants que nous allons aller en Asie Mineur !!!!
Ecrit à mon père. Bridge + 30
Je remplace Berthain à l’heure habituelle. Il parait que le secteur n’a pas été canonné aujourd’hui. La cheminée du nouveau Poste est si défectueuse que Berthain et les 2 téléphonistes ont failli être asphyxiés la nuit dernière par le charbon de bois. Aussi, je laisse tomber le feu. Mais il ne fait pas froid dans ce souterrain.
Debret m’apporte, avec mon dîner, une carte et une lettre de Jeanne, des 4 et 5 décembre.

Vendredi 11 décembre
Nuit calme; matinée avec brouillard; je fais couvrir le Poste avec du fibrociment pour éviter les infiltrations de pluie.
Le secteur est de nouveau canonné assez vivement aujourd’hui, particulièrement aux environs de mon Poste, entre 13 et 14h. Une dizaine de gros obus éclatent dans le voisinage, sans causer de dégâts.
Envoyé un mandat de 11F au petit St Thomas. La pluie se met à tomber vers 15 heures; le retour à St Pierre va être gai, dans ces sacrés boyaux interminables.
21h30 : horrible, le retour à St Pierre. J’apprends qu’au cours de la canonnade de l’après-midi, un obus est tombé dans un abris à l’Est de la route, couvrant de terre deux hommes qui n’ont eu aucun mal.
Reçu accusé de réception de mon mandat de 300 Fr, et deux lettres de Jeanne mis à la poste les 7 et 8 décembre.

Samedi 12 décembre
Passé une inspection de vivres/réserves du Bataillon; le 22e, en particulier, n’en a que très peu; elle est nettement inférieure aux autres Compagnies à ce point de vue.
Nous partons à Bitry à 14 heures.
Rencontre Gamenet à Bitry. Il paraît que les Autrichiens auraient reçu une pile sérieuse. Un mouvement important semble se préparer chez nous : des troupes passent journellement en autobus et en chemin de fer allant vers l’Ouest et le Nord; le 170e va remplacer cette nuit le 60e dans ses tranchées à la droite de notre secteur de Ste Léocade. Evidemment, il y a quelque chose dans l’air. Je crois que d’ici quelques jours, il y aura du nouveau dans les opérations militaires.
Je retrouve à Bitry ma bonne chambre et mon bon lit.

Dimanche 13 décembre
J’ai passé mon après-midi à classer les lettres de ma chère femme et à écrire.
Un petit bridge va compléter l’après-midi.
Menu : huitre aux deux repas, Chablis le matin Pontet-Canat le soir, etc…
Reçu de Jeanne une lettre du 3, une du 8.

Lundi 14 décembre
Nous avons fait ce matin une reconnaissance des ouvrages de défense établis sur la rive gauche de l’Aisne par les territoriaux. Leurs travaux sont bien compris, malheureusement, plusieurs tranchées sont pleines d’eau ou s’éboulent. Elles sont précédées de sérieux réseaux de fil de fer. Vu là du 65e (Châteauroux).
Rien de nouveau dans notre situation; après demain soir, je reprendrai le chemin du Poste de Commandement.
Nous avons encore eu des Marennes à déjeuner ce matin ; décidément, la Popote nous fait faire bombance…
Rien reçu au courrier de ce soir. Ecrit à René pour lui conseiller de préparer son bachot pour la session de Mars.
Payé 7,50 de vin comme amende. Je suis le mouvement, mais je pense qu’on pourrait peut-être employer mieux son argent.
Répété ce soir des cantiques en vue de la messe de minuit et de Noël, que j’ai dû transposer en sol pour pouvoir le chanter. J’ai une voix des plus raillé à présent.

Mardi 15 décembre
Nous apprenons que les enfants de 6 à 14 ans ont été évacués de St Pierre vers l’arrière (Chartres, dit-on). Pourquoi ? Raison sanitaire ? ou raison stratégique ?
Nous apprenons aussi que nous ne fournirons plus le secteur de Ste Léocade, mais bien celui qui est à l’Ouest du ravin de St Pierre, actuellement occupé par le 219e. Cette modification nous vaut un jour de repos de plus à Bitry. Pourvu que le nouveau secteur n’ait pas des boyau semblables à ceux de l’ancien ! Toutes ces modifications sont la répartition des troupes sur le front, donnant l’impression d’un acte prochain.
Où, quand ? secret. Mais voici mon opinion, on verra bien si elle se réalise : la nouvelle organisation des secteurs dans la Brigade conduit à supprimer aux régiments le repos périodique de 4 jours auxquels ils étaient habitués (les trois régiments sont en effet en ligne à la fois). Cette situation ne pouvant se prolonger sans dommage pour l’état sanitaire, j’en conclus qu’une opération importante, et qui pourra être décisive, va être tentée de façon à être terminée pour Noël. Ai-je raison ? nous verrons. Quant au point d’application de cet effort, il est bien entendu que tout le monde l’ignore. Nous sommes entre les mains du Général Commandant en Chef.

Mercredi 16 décembre
moulinsstouvent

Le Colonel rentre de voir le Colonel du 219e; nous sommes deux Compagnies en 1ère ligne, dans la tranchée Cousin et son prolongement de gauche, et deux Compagnies en 2ème ligne dans la grande tranchée et son prolongement. Le Bataillon restera 2 jours aux tranchées, et les Compagnies de 1ère ligne passeront en 2ème ligne au bout de 24 heures, et inversement. Le Poste de Commandement sera près du ravin ou à la lisière du bois; mais il parait qu’il n’est pas terminé ; demain, j’utiliserai sans doute mon arrière poste qui n’a plus de porte, en attendant que le nouveau soit prêt. Je regrette d’avoir fait transporter ma porte vitrée à Ste Léocade; je ne puis plus maintenant l’en faire revenir.
Cet après-midi, la pluie oblige à donner contre ordre pour l’exercice.
Je paie à Douet 1.20 Fr pour les draps du lit que j’ai occupé à St Pierre, chez le Maire, alternativement avec le Colonel Berthon, qui me rembourse 0,60 Fr.

Jeudi 17 décembre
La nouvelle organisation nous fera passer deux jours aux tranchées et deux jours au cantonnement; celui-ci sera : 2 Compagnies (21 et 22) à St Pierre; 2 Compagnies (23 et24) à Bitry. Le Chef de Bataillon à St Pierre.
Fait dans la matinée la reconnaissance du secteur, qui me parait plus agréable que celui de Ste Léocade; il est surtout plus propre. Le poste de commandement est à peine ébauché. Je m’installerai donc dans celui du ravin.
Dans l’après-midi et avant le départ, bridge, qu’on ne peut arriver à terminer.
A 16h, départ de Bitry pour les tranchées par le ravin de St Pierre. Mauvais chemin, défilé par un interminable. Je ne reçois qu’à 8h du soir le compte-rendu de l’installation. Enfin, éclairé par une lampe à acétylène du Dc Dupont, je puis m’installer tant bien que mal, sans table ni porte.

Vendredi 18 décembre
Je n’ai pas reçu de lettre de Jeanne depuis 2 jours; hier soir un mot de Marie, et une réponse du Maire de la Fer Champenoise, que j’envoie à Jeanne.
Dans la matinée, je visite la partie Est de mon secteur, l’heure du déjeuner m’empêche de continuer ma promenade dans le secteur Ouest que j’irai voir demain matin. Le Colonel est allé voir le secteur dans l’après-midi. Le Commendent Berthein vient au Poste de Commandement passer quelques instants pendant que ses cadres font la reconnaissance. Le téléphone marche mal avec St Pierre; j’en ai rendu compte ce matin, et une nouvelle ligne va être établie entre le poste et Bitry.
Journée et nuit calme. Un Maréchal des Logis des Batteries de 90, vient vers 21h avec un téléphone pour relier mon secteur à ses batteries qui ont ordre de rendre aux Allemands 2 coups pour un. Malheureusement, et comme par hasard, il n’a jamais pu obtenir la communication avec ses batteries. D’ailleurs, nous n’en avons pas eu besoin; ça se trouve bien !

Samedi 19 décembre
Ce matin, je suis allé voir la partie Ouest de mon secteur, entre 10h et 11h 1/2. A peine rentré, je reçois avis téléphonique de la visite des tranchées par le Général de Brigade dans l’après-midi. Cette visite à faire de 14h15 à 16h45, soit 2 heures et demi, et nous n’avons vu que la partie Ouest. Un peu à l’Est de la route Attichy – Touvent, on aperçoit en avant de nos lignes au moins cinquante cadavres français ça et là. Ils doivent être là depuis le 20 septembre, c’est-à-dire depuis 3 mois. Comme ils sont entre les deux lignes ennemies, personne ne peut assurer à ces malheureux une sépulture convenable.
Relevé à l’heure habituelle. Retour par les chemins ignobles du bois à l’Ouest de la route; et il pleut toujours. Quand nous viendra une bonne gelée qui fera disparaitre toute cette boue ?
Je n’ai pas noté mon menu hier soir au Poste : bifteck aux pommes et omelette « Célestine », qui est une omelette aux confitures. Le cuisinier de la 21e parait connaitre son affaire, mais qui me rendra les repas animés et gais de notre ancienne Popote ?

Dimanche 20 décembre
Rien de particulier. Repas à St Pierre; je vais dans l’après-midi à Bitry dire bonjour à Laferrière qui nous apprend que quelque chose se trame pour le lendemain, et que nous pourrions bien participer à quelque action importante. En effet, le soir à 22h, un planton vient à St Pierre m’apporter l’ordre d’être en place demain matin à 5h pour appuyer une attaque de la 37e (?) Division.

Lundi 21 décembre
Départ à 4h. XXXX. Je me rends d’abord avec le Colonel à l’arrière poste de Commandement du ravin. Puis, presque immédiatement, et sur le renseignement qui nous parvient que le nouveau Poste de la lisière est couvert, nous allons nous y installer. Grosse canonnade à partir de 7h. Quelques hommes du Génie continuent à travailler à notre Poste où nous sommes réduits à nous chauffer au moyen d’un brasero de charbon de bois qui nous incommode tous. La cheminée finie, on s’aperçoit qu’elle est mal faite, avec le charbon de bois, on s’intoxique; avec le bois, on s’enfume; aussi suis-je obligé de laisser éteindre le feu et de passer la nuit ainsi; donc je dors mal. Je me suis d’ailleurs couché avec le mal de tête et presque sans manger (pain et chocolat).

poste-telephone-tranchees

Exemple poste de Commandement

Mardi 22 décembre
Mêmes dispositions qu’hier. Le 5e Bataillon est en réserve à 5h et je monte prendre ma place au poste de la Grande tranchée (29e), où je trouve un bon feu. Vers 7h, quelques coups de canon, mais rien de sérieux; ça ne tourne pas comme hier. A 9h, coup de téléphone du Poste du Colonel me prévenant qu’on reprend le dispositif normal. Donc le 5e Bataillon rentre, et je reviens au Poste de la lisière. Journée calme. Dans l’après-midi, d’assez obus allemands et français passent au dessus de nous, les uns vers Gamet (?), les autres vers Puiseux.

Mercredi 23 décembre
La cérémonie recommence vers midi; et je m’installe à la Grande tranchée (22e). Fusillade nourrie sur le front, à laquelle les Boches ne répondent d’ailleurs pas, ou presque. Coups de canon nombreux de notre part, et à peu près rien an face. Il parait que ces dispositions sont prises pour empêcher les Allemands de dégarnir le front au profit de leur secteur de Quesmères (?) en vue de contre-attaquer les tranchées qui leur ont été prises par la 37e (?) Division. Un téléphoniste me raconte que Germond (?) aurait dit à Besse que, dans une tranchée allemande prise par les zouaves et où 79 Allemands s’étaient rendus, on en aurait tué 78 pour venger un officier français tué par eux, et ignominieusement crucifié sur leur réseaux de fil de fer. Cruel, mais juste. Mais est-ce exact ?
Il n’y a pas un mot de vrai, sauf le massacre des Boches, mais pour une autre raison : pétrole employé par eux dans une contre-attaque.
Je rentre à St Pierre à 18h, ne m’étant pas lavé depuis trois jours.

Jeudi 24 décembre
Ecrit à mon père et à Michel. Nuit calme et bon repos. Au matin, je me rase et me lave avec délices. Gourvennec prétend que Joffre masse 15 Corps du côté de Neufchâteau.
Je reçois ce soir une lettre de Jeanne m’annonçant l’admission de René au Prytanée comme 1/2 boursier avec trousseau.
Toute l’après-midi, notre artillerie lourde a fortement donné vers notre Est; puis, à la nuit, violentes fusillades dans la même région.
Tous mes petits ce soir doivent penser à moi comme je pense à eux. Tout ce que j’aime est si loin de moi. Que Dieu me permette de les revoir, c’est la grâce que je lui demande aujourd’hui du fond du coeur.

Vendredi 25 décembre
Alertes à 8h. 21 et 22 aux emplacements de réserve et moi au Poste de Commandement, lequel a pris feu la nuit dernière. La cheminée est démolie, et on est réduit à faire du feu de bois dans un brasero. Fumée intense et peu de chauffage. Il a fortement gelé cette nuit, aussi le séjour dans le Poste est-il plutôt pénible. Voilà un jour de Noël bien peu tranquille, moi qui voulait aller à la Messe ce matin. J’espère que Dieu me tiendra compte de mon intention.
16h. J’ai réussi à faire refaire la cheminée du Poste par mes agents de liaison. Elle tire très bien et permet de conserver le Poste fermé. Du coup, le Poste est devenu habitable. La journée se passe sans incident. Assez vive canonnade et fusillade de notre côté; presque rien du côté Boche. Vers 16h, on reprend le dispositif normal et je reste à mon Poste pour 48h. Aucun courrier pour moi.

Samedi 26 décembre
La nuit a été tranquille. A 10h, tournée dans les tranchées; tout y est calme, il a gelé assez dur cette nuit, et ce matin, il y avait un fort beau givre sur nos bois. J’écris aujourd’hui à Jeanne, à René et à Mémère. On entend encore (13h) une grosse canonnade à gauche. Je conseille à Jeanne, dans mes lettres d’emmener la « Choute » conduire René à La Flèche. Mon père sera si content de les voir tous les trois ! Il faut ménager à ce vieux brave homme cette satisfaction dont il est privé depuis plus de deux ans. Encore aucun courrier pour moi. J’écris à Jacquet.

Dimanche 27 décembre
Je ne bouge pas de la journée de mon Poste; vers 11h, une quinzaine de coup de canon allemand en arrière de la Grande tranchée (obus 77 viennent de la direction de Touvent). Je les signale vers midi à la Brigade. Toute l’après-midi, notre artillerie envoie des obus sur Touvent, sur Puiseux; c’est une vrai averse sous laquelle les canons d’en face se musclent.
Le Capitaine du Génie fait, avec Cazenavette (?), une reconnaissance ayant pour but de gagner du terrain en avant de la tranchée Petit. Le travail doit commencer dès ce soir. La pluie commence à tomber un peu pendant notre retour à St Pierre. Les chemins ignobles. Elle continue toute la nuit. Encore aucun courrier (3e jour).

Lundi 28 décembre
A 9h, à titre d’exercice, je fais lancer des grenades dans un terrain au Sud de St Pierre. Sur 16, 9 n’ont pas éclaté. Ecrit à Duchart (?) et à Guigou (?). La pluie continue. Reçu ce soir un mot de René et un mot de Grand-père. Rien de Jeanne (4e jour). J’ai passé ma journée au coin du feu à la Popote.

Mardi 29 décembre
Réunion des officiers à 10h30. Le Colonel nous lit les observations faites au cours de l’attaque poussée sur notre gauche les jours derniers; elles sont secrètes et témoignent de la nécessité d’une préparation très complète à tous les points de vue avant d’entreprendre une action offensive contre les tranchées ennemies. Dans l’après-midi, Laferrière nous invite Cazenavette (?) et moi à dîner à Bitry le soir du 1re janvier. Sauf imprévu, naturellement. Rien de Jeanne ce soir (5e jour). Maudit soit le service postal !. Je monte dans la boue au Poste de Commandement. Couché vers 10h : je m’endors difficilement vers 1h du matin.

Mercredi 30 décembre
Rien de nouveau pendant la nuit. A la pointe du jour, un soldat de la 23e sorti imprudemment de la tranchée Cousin pour déboucher son créneau est tué d’une balle à la tête. La journée est calme. L’artillerie allemande nous a laissé tranquilles; la nôtre a envoyé sur les tranchées allemandes quelques obus à mélinite. Je me suis réveillé ce matin avec la gorge râpeuse; c’est un rhume qui s’atténue dans la journée, mais qui m’abrutit un peu; aussi suis-je resté toute la journée auprès du feu sans aller dans les tranchées. Le Colonel est venu ce matin, il n’y est pas allé non plus et n’est resté que 5 minutes au Poste, le temps de me demander s’il n’y a rien de nouveau. J’écris à Jeanne et à René. Celui-ci aura-t-il ma lettre avant son départ pour La Flêche ? Il part dans 5 jours, ce cher grand, et ma lettre peut mettre plus longtemps, surtout à cette époque.
Vers 22h, Lebland (tranchée Petit) me signale des travailleurs allemands occupés à égailler des tas de fumier en avant de leur tranchée. J’envoie le renseignement à la batterie de 90 qui leur expédie, entre 22h30 et 23h, 12 obus qui les obligent à réintégrer leurs trous.
J’ai enfin ce soir 2 lettres de Jeanne, une du 21, et l’autre du 24.

Jeudi 31 décembre
Vers 8h1/2, je vais faire un tour dans les tranchées Cousin et Petit, puis je reviens par la gauche de la 2e ligne. Rien de particulier. Quelque temps après mon retour, j’apprends que les Allemands travaillent en avant de leurs tranchées dans des trous dont ils rejettent la terre en arrière; je les signale au 90, qui envoie quelques obus dans cette direction. Entre 11h30 et 12h, les Allemands tirent sur Navet (?) et sur la lisière en arrière de la Grande tranchée, alternativement. J’envoie le renseignement à la Brigade et vers midi 1/2, le 75 leur envoie une rafale, qui n’empêche pas le tir allemand de continuer. Danet (?) venu ce matin au Poste, m’apprend que j’ai deux paquets à St Pierre; je les trouverai ce soir en rentrant; l’énumération du contenu m’a été donné par Jeanne dans une des deux lettres d’hier soir. Je n’aurai plus qu’à vérifier que tout y est bien.
Reçu mes colis ce soir; c’est parfait, et ma lampe électrique fonctionne parfaitement. Reçu trois lettres ou cartes de Jeanne des 23, 25 et 26, toutes mises à la poste le lendemain, et une lettre de Marie du 22.
Oraulies (?) est à Villemontoise, près Soissons.
Le 219 relève le 318.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Janvier 1915

Vendredi 1re janvier
Ecrit à Jeanne et René. Tout mon personnel (officiers, adjudants de Bataillon, agents de liaison) me présente ses voeux. Je suis très sensible à la démarche de tous ces braves gens qui m’ont tant de fois déjà témoigné leur dévouement. Que nous réserve cette nouvelle année ? Sans doute la victoire et la paix ; accueillons-la donc avec confiance.
Donc, l’après-midi, je me rends à Bitry, en vue de participer au dîner du Presbytère ; j’y fait un bridge et nous nous mettons à table à 7h1/4. Repas plantureux, dinde, foie gras, entremet au chocolat, bourgogne, champagne, cigares, rien n’y manque, pas même la gaité. Rentré à St Pierre à 10h1/2.
Toutes ces agapes qui sont très cordiales ne conviennent guère à mon estomac, qui y est peu habitué. Hier soir, champagne de l’Etat (1 bouteille pour 4) ; ce matin, champagne de la Popote, même taux ; ce soir champagne du Presbytère. Je serai heureux de retrouver demain le frugal menu de notre cuisinier Bocazon.
Laisse 450 Fr à Grégoire pour mandat.

Samedi 2 janvier
Repas à St Pierre. Nous avons encore eu des huitres au déjeuner, reliquat d’hier. Dans l’après-midi, nous terminons avec Laferrière, Dupont et Leroy un bridge commencé hier -1.60. La relève ayant lieu un peu plus tard ce soir, les membres de la Popote dînent à 9h1/2 avant de partir. Pour laisser reposer mon estomac, je ne les imite pas, et me borne, une fois au Poste, vers 8h, à manger un morceau de pain grille avec beurre et chocolat. Des sections du 67e ? viennent se familiariser avec les tranchées ; ce service a commencé hier soir avec une section mise en 2e ligne ; elle passe en 1ère ligne ce soir en même temps qu’une autre section, venue avec mon Bataillon, prend sa place en 2e ligne. Un Capitaine, M. Bouffard, je crois, a pris le service hier soir et reste deux jours comme nous.
La clarté de la nuit a fortement gêné les travaux entrepris sur le front Petit ? Deux tués parmi les travailleurs (1 sapeur du Génie et 1 fantassin). Reçu de Jeanne une lettre du 22.

Dimanche 3 janvier
Je suis allé vers 8h faire une tournée dans les tranchées ; tout y étaiT calme. Donné 11 Fr au vaguemestre pour mandat Petit St Thouras ?
Dans l’après-midi, nos batteries canonnent assez fortement les lignes ennemies ; le 90 cherche une mitrailleuse dont je lui ai signalé l’emplacement ; il a dû l’approcher de très près. Le Colonel est venu voir les nouveaux boyaux, et a assisté au tir du 90, qui parait avoir été bon.

Matériel_de_l'artillerie-p32-canon_de_90

Canon de Bange 90 Par V. Roger — Bibliothèque nationale de France, Domaine public, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=21678443

Vers 18h30, une bande de 15 à 20 Allemands poussent une pointe sur nos tranchées avancées auxquelles nous travaillons la nuit et que nous gardons le jour par quelques hommes. Nos guetteurs les dispersent à coup de fusil et croient en avoir blessé plusieurs, s’ils en jugent par les cris qu’ils ont entendus. Des patrouilles vont être poussées de ce côté-là.
Un homme de la 22e, légèrement atteint, d’un éclat d’obus à l’Est de la tranchée Cousin, vers la lisière du Bois.
Je ne reçois ce soir qu’une lettre de Jeanne, écrite le 20 décembre. Encore une retardataire. Ecrit aujourd’hui à Mme Ducoisel ?

Lundi 4 janvier
Pluie froide une partie de la journée. Reçu deux lettres de Jeanne, les 27 et 28 décembre, une lettre de Paul Chauveau, et la facture de Clavier. Rien de bien particulier dans la journée. Pas mal de coups de canon de chez nous sur les tranchées allemandes. J’apprends ce soir que le 365e va aller en réserve à Bitry et que nous nous étendrons vers Moulin-Moulin. Ce sera probablement la réserve quotidienne. Adieu les repos. Rentré ce soir par des chemins atroces dans une obscurité profonde ; je ne m’en suis tiré qu’avec l’aide de ma lampe électrique.
Adresse de Paul Chauveau : 72e Tal 1ère Compagnie secteur 73. Les lettres de Jeanne ne me disent toujours pas si elle a fait le voyage de la Flêche, avec la « choute », ni si elle a reçu à temps ses bons de réduction.

Mardi 5 janvier
Envoyé ce matin à Jeanne un mandat de 450 francs, N° 053, série 134.153.
L’extension de secteur vers Moulin-Moulin est officielle. Les relèves deviennent quotidiennes, et le 265 va en réserve. On parle à mots couverts d’une attaque prochaine dans notre secteur ; où et quand ? Mystère qu’il vaut mieux ignorer, car les Allemands en sont parait-il instruit d’habitude en même temps que nous, sinon avant. Donc, je retournerai ce soir au poste de Commandement habituel. Quant aux événements ultérieurs, attendons-les avec confiance.
Répondu ce matin à Paul Chauveau. Remis 12,95 au vaguemestre pour un mandat envoyé à Clavier.
Le régiment va prendre sont cantonnement dans la partie Nord de St pierre, et sans doute la popote de l’E.M. recommencera à fonctionner comme avant. Aujourd’hui, repos sans incident. Après déjeuner, manille habituelle avec le docteur Dupont, Cazenavette et Pupin. Payé 18,95 à la popote Dupin.
9h du soir ; me voilà au poste, et par quels chemins, grand Dieu ! Qui nous délivrera de cette boue ?
J’écris ce soir à mon grand Dédé pour lui demander des renseignements sur son nouveau genre de vie. Ecrit également aujourd’hui à Brodin, Gaillol.

Mercredi 6 janvier
Reçu une carte de Bain. Répondu. Pas de lettre de Jeanne ce matin.
Vers 11h, un soldat de la 21e est tué d’une balle à la tête derrière un créneau. Assez grande activité des artilleries aujourd’hui dans la région.
Vers 15h, le 75 envoie 3 rafales successives de mélinite sur les tranchées allemandes, sous lesquelles Courvennec a vu nettement s’enfuir une section boche à toutes jambes, à travers champs. Il y a dû avoir par là une certaine casse.
Nous rentrons à St Pierre par le ravin, immonde, dans les plus noires ténèbres.
Je trouve en arrivant un gros courrier : 4 lettres de Jeanne, du 28, 29 30 1re janvier. Un lettre de mon père, une carte de Marie et une lettre de Mme Guidou.
Je reprends ma place à la popote de l’E.M.. A dîner, nous dégustons une volaille truffée, reçue par Cazenavette, et arrosée d’un vieux bordeaux de 1890.

Jeudi 7 janvier
Le temps pluvieux continue. La nuit a été tranquille à St Pierre. Le Bureau du Colonel distribue des dons envoyés par la population vannetaise au 316 ; je m’approprie un bout de mimosa, un petit calendrier de poche et une bouteille d’Anjou 1911 offerte par Laizé.
Je monte aux tranchées vers 16h ; il fait encore jour et le chemin boueux et moins pénible à suivre.
A diner, avec le Dr Vilaine, je déguste le vin blanc de Laizé. Il est bon, mais il ne vaut pas le mien.
Le canon allemand tire ce soir quelques obus (5, je crois) sur le bois de sapins et surtout sur la route de Touvent, vers le 219. Notre 90 répond. Il parait qu’une des batteries 90 va être transformé en 75 incessamment.

Vendredi 8 janvier
Monotonie des jours qui se suivent sans apporter de changement à notre situation. Il a plu une partie de la nuit. Je suis allé vers 10h faire un tour dans les tranchées ; on s’y enfonce jusqu’à mi-jambe. C’est immonde. Les pauvres poilus qui ont passé la nuit dans cette gadouille ont du mérite ; mais je n’y ai fait une petite tournée et j’en suis revenu dégoutant.
Un homme de la 21e a été grièvement blessé par une balle dans la tranchée, en tête du boyau 4 (mort certainement à St Pierre). Notre artillerie a tiré presque toute la journée, soit pas coups isolés, soit par rafales, à la mélinite ; aussi, nous n’avons pas entendu le canon allemand. Les gens d’en face ne tirent guère que le soir, à la nuit close, quand ils supposent que notre 75 est allé se coucher.
Déguste ce matin une bouteille de vieux bourgogne, envoyé comme Noël, par une demoiselle Tissier de Vannes. Vieux et excellent vin, d’un bouquet parfait. Pas de lettre ce soir (2 jours). Reçu ce matin une lettre de Doué.

Samedi 9 janvier
Je vais ce matin reconnaître un terrain où on puisse faire des exercices d’attaque de tranchées. Dire qu’il faut faire des exercices ! Puis réunion des Commandants de Compagnie pour les consulter au sujet des travaux à projeter dans le secteur pour réaliser les idées exprimées par une note de Joffre…
Payé 6F75 pour 3 jours de popote. Le taux a été porté à 2F25 par jour pour les Chefs de Bataillon. C’est un peu cher pour des gens qui touchent des vivres gratuits, mais nous sommes payés assez largement. J’aimerais autant toutefois que mes économies profitent à ma famille qui en a besoin, plutôt qu’aux commerçants d’Attichy ou d’ailleurs.
Le « Martin » a publié hier le rapport de la Commission d’enquête sur les atrocités allemandes. Réquisitoire terrible contre ces sauvages !
Reçu 15F à rendre à Pépin pour les derniers cèdes à la popote de l’EM, pas celle de la 22.
Il nous a été communiqué aujourd’hui une note sur les effets de notre artillerie ; cette note reproduit des impressions recueillies sur des carnets allemands, ou auprès de prisonniers, et ensuite la terreur que notre artillerie inspire à nos adversaires.

Dimanche 10 janvier
L’artillerie allemande a tiré une partie de la nuit sur nos tranchées, dans la région Ouest du secteur. On a, de plus, signalé, hier soir, des mouvements de voitures entre Puiseux et Moulin ; mais impossible de communiquer avec le 90, dont le téléphone ne marche, ni directement, ni par Navet. J’en rend compte ce matin à la Brigade. Ce défaut de liaison se reproduit vraiment un peu trop souvent. Les allemands semblent avoir reçu quelques munitions ; leur artillerie semble beaucoup plus active depuis quelques jours.
Reçu hier soir une lettre de Jeanne et deux cartes de René (Angers et La Flêche). Ils ont trouvé mon père et Eugénie à Angers, qui ont eu grand plaisir à les revoir tous les trois, car ma choute était du voyage. Jeanne s’extasie sur le chic du grand fiston, habillé en Breton. Comme je voudrais revoir ces trois têtes si chères.
L’artillerie allemande envoie quelques obus sur le secteur jusqu’à midi à peu près. Dans l’après-midi, nos 75 versent de la mélinite sur les tranchées allemandes, et le canon d’en face se tait. Le Lieutenant Reunier, des batteries de 90, se rend à la tranchée Petit pour essayer de régler un tir sur les tranchées allemandes les plus rapprochées des nôtres, c’est-à-dire devant le boyau 3.
Après déjeuner, l’Adjudant Dusset apporte une demi-bouteille de champagne provenant de cadeaux reçus ; au moment où je m’apprête à la déboucher, le Colonel arrive et en accepte un peu dans un quart. Il est bon, ce champagne !
Je reste au Poste pour transmettre à la batterie de 90 les observations du Lieutenant Reunier, mais (14h15) , malgré deux coups déjà tirés, je ne reçois rien.
16h15. Mon après-midi s’est passée à transmettre à la batterie le résultat des observations faites en 1ere ligne par le Lieutenant Reunnier qui parait avoir réussi à régler d’une façon satisfaisante.
Le Régiment a reçu deux sous-lieutenants venant d’être admis à St Cyr ; l’un est affecté à mon Bataillon (2e Compagnie), mais j’ignore encore son nom.
Reçu ce soir une carte de Jeanne, du 4, une lettre du 5 et une carte de Maurice du 28 décembre.
Payé 4.50 à la popote pour les 9 et 10.

Lundi 11 janvier
Le matin, exercice d’attaque de tranchées. Que nos vieux poilus ont donc peu d’élan dans ces sortes de manifestations ! Je ne les vois pas partant à l’attaque des tranchées boches, ils y seraient peut-être suffisants, mais pour le brio, ils n’en n’auraient guère, du moins à ce que je crois.
Ecrit à René une carte.
Il parait que les allemands ont bouleversé une partie de notre tranchée en avant du boyau 3 ; on parle de minerai de fer, mais ce doit être avec des bombes et non avec des mines ; celles-ci font un bruit formidable qui auraient été entendu de St Pierre  si cet engin avait été réellement utilisé.
Fait un bridge après déjeuner. + 17. Je n’ai pas encore eu l’accusé de réception des 450F envoyés le 5 à Jeanne. Il est vrai que la lettre n’a guère pu lui parvenir ces jours-ci. Que ces communications sont lentes !
Vers 19h15, j’ai entendu sur la gauche du secteur, une très forte détonation ; ne serait-ce point une mine. Je demanderai cela demain à Le Roy, qui en a entendu dans le secteur de la 37e Division.
Reçu ce soir une carte de Jeanne, datée de Doué, 7 janvier, une carte de René et une de Jacquet. Ecrit ce soir à Jeanne et à Madeleine Jacquet. Il a plu toute la soirée ; le sol est dans un état épouvantable.

Mardi 12 janvier
A minuit et à 5h30, encore des mines ; je crois que c’en est vraiment ; un homme de la 21 a reçu une évidente commotion, qui semble l’avoir rendu un peu fou, au moins momentanément.
9h15. Des obus tirés de près tombent près du poste de commandement. Ils paraissent provenir d’une pièce de 77 placée vers la caverne où le Général de Poujade avait son poste de commandement le matin du 20 septembre. Je le signale au 90. Il y a pas mal de coups de canon, ce matin, de part et d’autre, et contrairement à l’habitude, je n’arrive pas à les identifier sûrement ; on dirait, d’ici, que les allemands ont du 75 ; ça doit être une illusion d’acoustique. Renseignements pris par téléphone, les allemands ont peu tiré.
Vers 13h, le Lieutenant Récamier, du 90, vient au Poste et se rend ensuite en première ligne pour régler un tir sur les tranchées en avant du boyau 3. Je reste au Poste pour assurer les transmissions avec la batterie. Ce réglage est long, on arrive cependant à placer quelques obus à mélinite dans l’ouvrage visé.
Je rentre à St Pierre par le plateau ; en arrivant, on me remet trois lettres de Jeanne des 6, 8 et 9.

Mercredi 13 janvier
4 mois aujourd’hui que nous sommes ici ; ça commence à compter, et nous pensons appeler cette guerre la campagne de Bitry, St Pierre et autres lieux voisins. Ecrit aujourd’hui à René et à Mme Beaules. Assiste pendant quelques instants à l’exercice de la 23e (attaque des tranchées). Plus je vois cette préparation, plus elle me laisse rêveur, car je doute de son efficacité avec la troupe que nous avons. Au fond, je crois bien que c’est l’avis de tout le monde, seulement personne ne veut l’avouer.
J’ai appris hier que Besse a été nommé Capitaine ; à la première occasion, je le féliciterai, au besoin par téléphone.
La Compagnie de Moulin-Moulin a reçu hier soir 8 obus, ce soir 5, à peu près à la même heure, entre 17h et 17h30 ; je demande au 90 de répondre, et il répond. Mais j’ai l’intention de prendre demain une mesure préventive ; je tacherai de faire tirer à partir de 17h, et avant que le canon allemand n’ait tiré.
Reçu ce soir une carte de Jeanne, une lettre de Marie, et un mot de Duchat. Répondu Duchat en le félicitant de sa citation, et de sa décoration.

Jeudi 14 janvier
La nuit a été assez calme. Vers 10h, je suis allée faire un tour aux tranchées par les boyaux 6 – 5 – 4. Rien de nouveau dans ma promenade. Le 75 envoie (midi) pas mal de mélinite en face. Les allemands répondent faiblement. Dans la journée, ils envoient des obus vers Gamet. Puis vers 5h du soir, 2 obus dans le ravin, vers Moulin et 5 mines devant la tranchée 3. Sur ma demande le 90 répond.
Reçu ce soir une longue lettre de René qui me donne des détails sur sa vie de pension ; je lui réponds tout de suite longuement ; ce brave enfant est comme moi, les lettres seront sa distraction.
Payé 9F pour la popote (11 à 19 janvier).

Vendredi 15 janvier
Vers 9h, je suis appelé au téléphone par Berthain, qui veut me demander comment j’ai fait évacuer la tranchée 3 pour le tir à la mélinite du 90. Le secteur a encore reçu des mines cette nuit, et l’on va tirer à mélinite sur l’emplacement de cet engin qui probablement n’y sera plus au moment du tir. Je crois qu’il faudra que le 75 s’en mêle et qu’il fasse là-dessus un tir systématique vers la tombée de la nuit. Mais nous n’avons pas la disposition du 75 ; la Division seule peut en ordonner l’emploi.
Je ne suis pas allée voir ce matin l’exercice d’attaque des tranchées.
Réunion des Commandants de Compagnie à 10h à la salle de la Popote.
Ecrit à Marie.
Payé 3,80 pour un jeu de whist et un bloc-notes.
En allant au poste, le long du plateau, nous entendons des obus boches éclater vers nos tranchées et vers Moulin-Moulin, puis des mines. En arrivant au Poste, j’apprends qu’il s’agit de 18 obus et de 12 mines ; un homme de la 17e a reçu des éclats d’obus vers la grotte. On a demandé ce soir des lieutenants volontaires pour passer au 15e corps ; dans mon bataillon, Gourvennes s’est seul présenté.
Reçu un mot de Beaulieu, 44 infanterie – secteur 43.

Samedi 16 janvier
J’ai aujourd’hui 48 ans. Ma santé résiste au régime assez dur que nous subissons.
Ce matin, vers 6h, une douzaine de mines tombent dans le secteur Petit, sans dégâts.
Récapitulation du service des tranchées fournie par le Régiment.
287                             19 et detac de la 23e
29                               1 Compagnie 1/4 du 6e Bataillon
30                              1 Bataillon aux tranchées
1 oct                          1 Bataillon aux tranchées
2 oct                         le 316 prend le secteur Ouest du ravin jusqu’au 9 novembre inclus
Jusqu’au 10            Bitry repos
Jusqu’au 18            tranchées Ouest du ravin
Jusqu’au 22           Bitry repos
Jusqu’au 26          aux tranchées Ouest
à partir du 26      à Ste Locadie jusqu’au 30 nov
du 1 au 4 déc       Repos à Bitry
du 4 au 12 déc     Ste Locadie
du 12 au 17 déc   Bitry
depuis le 17 déc  au secteur de Touvent
A 7h1/2 , on me téléphone de Petit que Leblond vient de recevoir une balle dans la tête, dans la tranchée en avant du boyau 2. Je m’y rends immédiatement, mais, je dois attendre longtemps avant qu’on ait pu le tirer du boyau, qui est très étroit et sinueux. Je ne le vois que vers midi 45; il est perdu; je rentre à mon poste où on me téléphone à 13h15 que Leblond est mort. C’est une perte pour le Bataillon, c’était un Commandant de Compagnie consciencieux et compétent. Il meurt victime de son insouciance du danger, et il a montré sa tête un instant pour voir en avant de cette tranchée, qui est nouvelle et n’a pas encore de créneaux ; et il a été atteint immédiatement.
Mon adjudant de Bataillon, Ousset, s’est fait ce matin une entorse ; il a fallu l’emporter à St Pierre sur un brancard. Il est évacué sur un hôpital pour fracture probable du péroné.
Les obsèques de Leblond ont lieu demain matin à 10h30.
Reçu ce soir 2 lettres de Jeanne – 11 et 12 janvier. Ecrit à René et à Grand-Père.

Dimanche 17 janvier
Au moment où j’arrive à la popote pour prendre mon café au lait, on m’apprend qu’un soldat Boche s’est rendu cette nuit dans la tranché Petit ; on l’interroge en ce moment (8h1/2) au bureau du Colonel. Les obsèques de notre camarade Leblond ont lieu à 10h30. Les Généraux de Division et de Brigades y assistent.
Dans l’après-midi, le bruit court que les Allemands ont attaqué vers l’Ouest de Léocadie. Vers 20h30, le Colonel me téléphone que l’ennemie a réussi à enlever une tranchée avancée du côté de Haute Braye (?) et qu’il faut ouvrir l’oeil ou faire compléter à 200 le nombre de cartouches des territoriaux qui n’en n’ont que 112. J’ai l’impression que l’affaire de Soisson s’étend. Les Allemands essaient-ils une percée sérieuse ?
Plusieurs mines tombent ce soir dans notre secteur. Je demande au 90 de tirer en avant du Boyau 6, vers l’intersection du chemin de terre de Bitry avec la tranchée allemande ; le 90 se trompe, tire en avant de la tranchée 3 et nous tue un homme. Deux hommes ont été blessés par des éclats de mine. La nuit s’annonce mal.
Reçu ce soir une lettre de Grand-Père, une carte de Gourdon (31e d’Infanterie, secteur 10), et l’accusé de réception du mandat du 11 envoyé au Président St Thomas.

Lundi 18 janvier
J’ai reçu vers minuit un coup de téléphone du Colonel me prévenant que, en vue de parer à une attaque possible des Allemands aujourd’hui (anniversaire de la fondation de l’Empire Allemand), un dispositif de défense sera prêt à partir de 6h.
Les Compagnies de réserve du secteur se rendent à la Grande tranchée, et la Compagnie qui l’occupe actuellement ira à la tranchée Petit. En effet, l’ordre donné la nuit est exécuté, et je transporte mon poste à la tranchée Cousin, avec Cazenavette.
Dans la matinée, on entend sur notre gauche, loin, une grosse canonnade assez intense qui dure une bonne demi-heure. Dans le secteur, tout est calme, du moins jusqu’à 14h.
La journée se passe comme toutes les autres : canonnades et fusillades constantes. Dans l’après-midi, le canon Allemand de 150 démolit 2 abris de mitrailleuses couverts la nuit précédente à l’Est de la tranchée Cousin. Le Roy est furieux d’avoir travaillé pour rien.
A 16h, je suis prévenu que le dispositif normal est repris, je rentre au Poste de Commandement, et de là à St Pierre, où je trouve une lettre de Jeanne du 14.
Au moment de me mettre à table, Villaine me remet une lettre de Jeanne du 15, longue lettre qui me fait d’autant plus plaisir que je ne comptais que sur la carte déjà reçue. Au dîner, bonne perdrix aux choux arrosée de St Emilion.

Mardi 19 janvier
Pas de dispositif de défense aujourd’hui. Aussi, je dors jusqu’à 8h. Champagne au déjeuner. Repose à St Pierre, très tranquille. Bridge dans l’après-midi +3. Acheté 2 kg de confure (?) pour 2F.
Remis 9F à Laferrière pour la popote.
Ecrit aujourd’hui une carte-lettre à René, et une carte postale à Doué. Notre repos à Bitry pour le 22 se confirme. Le Colonel a reçu l’ordre de s’entendre à ce sujet avec la 265 qui nous relèvera. Nous commençons tous à avoir besoin d’une détente, d’esprit, de corps et de nerfs.

Mercredi 20 janvier
La nuit a été très calme, ainsi que la matinée ; cependant, plusieurs obus ont éclaté sur la tranchée Cousin et ses arrières, l’un d’eux est venu éclater assez près de mon poste, entre celui-ci est la Grande tranchée. Un sergent de la 23e (Baron), voulant profiter du brouillard pour placer des tambours de file de fer, a été blessé par une balle qui lui a traversé la cuisse ; un Caporal de la même Compagnie a été également blessé, mais très légèrement en voulant aller chercher le sergent. Le repos de Bitry est officiel à partir du 22.
Vers 14h, le Colonel me téléphone que les Allemands auraient pratiqué des brèches dans les fils de fer en avant des tranchées de la brigade marocaine ; il prescrit en conséquence d’avoir l’oeil. Je téléphone ces renseignements à mes Commandants de Compagnie. Il ne se passe d’ailleurs rien de particulier sur notre front.
Je rentre à St Pierre comme d’habitude par le plateau ; en y arrivant, j’apprends que notre repos est retardé. Le 265 qui est à Bitry fournit chaque nuit des Compagnies de travailleurs du côté de la Falaise, de sorte que son repos est très illusoire. Dans ces conditions, mieux vaut rester aux tranchées.
Reçu carte-lettre de Jeanne – Fainot et carte Blain.

Jeudi 21 janvier
Ecrit à René et Fainot.
Le repos est officiellement retardé. A 11h, réunion des officiers du Bataillon au bureau du Colonel qui nous fait lire une note du Général commandant la VIe armée relative au moral des troupes ; il faut l’entretenir par tous les moyens, et notamment en causant avec les hommes.
Encore une journée de pluie. Les tranchées vont être inondées. Il faut convenir que ces intempéries sont déprimantes.
Bridge dans l’après-midi -2.
Parti aux tranchées à l’heure habituelle sous la pluie ; le plateau est ruisselant ; les dépressions forment lacs.
Dans la soirée et dans la nuit quelques obus et quelques mines tombent dans le secteur, sans dégâts.
Reçu de Jeanne une lettre du 18.

Vendredi 22 janvier
Les hommes ont eu cette nuit de l’eau jusqu’à mi-cuisse ; par surcroit, il a fait froid, et ce matin, il y avait de la glace sur le plateau.
J’ai voulu aller aux tranchées vers 10h, mais je me suis arrêté au poste de la 23. Les boyaux étaient absolument impraticables, et cependant, nos pauvres soldats y sont restés toute la journée ; je les plains.
Dans l’après-midi, vers 13h45, une bombe a éclaté dans la tranchée, en avant du boyau C, blessant 4 hommes dont 2 assez graves. On m’a rapporté une tige de cuivre rouge trouvée sur le lieu de l’explosion dont une extrémité porte des traces nettes de rayures prouvant qu’il s’agit d’une grenade à fusil.
Un autre homme a été blessé d’une balle à la tête, au même point de la tranchée ; il est à peu près perdu.
Je me suis fait mettre à l’amende ce soir pour n’avoir pas déjà arrosé le galon de ma vareuse neuve.
Remis 9F à Laferrière pour la popote.
Beau clair de lune ce soir, et ciel pur. Il va encore geler cette nuit.
Reçu une carte de Jeanne, du 18, et une lettre de Gaillot du 17.
Vers 10h du soir, violentes explosions dans la région de St Pierre, et bruit de moteur. Un avion a-t-il lancé des bombes ? sont-ce les détonations d’obus tirés contre lui ? J’ai plutôt l’impression de bombes lancées par l’avion. Sans doute nous saurons cela demain.
Mon père a 75 ans aujourd’hui.

Samedi 23 janvier
Ecrit une carte pour René lui demandant de se souvenir que j’aime à recevoir des lettres ; je n’ai rien de lui depuis le 14.
A 10h du matin, aucun renseignement sur l’avion d’hier soir.
Il a gelé cette nuit, et il fait très beau ce matin.
18h : il parait que l’avion était Boche et qu’il a lancé des bombes sur Bitry.
Je me suis exécuté ce matin à déjeuner et à payer 2 bouteilles de Beaune, coût 7′. Je n’en dis rien, mais je trouve la plaisanterie chère.
Fait un bridge -6.
Reçu de Jeanne 2 lettres du 19 et 20 janvier, et une carte de Marie du 21.
La soirée a été assez tranquille dans le secteur.
Donne 9F à Laferrière pour la popote (19 au 22)

Dimanche 24 janvier
A partir de minuit, les Allemands ont lancés pas mal d’engins de toute nature sur le secteur : obus, mines, bombes, etc. fort heureusement, il n’y a eu aucun dégât. Mais il est singulier que nous ne disposions d’aucun moyen pour répondre à ce bombardement ; nous en sommes réduits à demander l’appui du 90, qui n’a qu’une pièce en état de tirer la nuit, et encore est-il délicat de le faire tirer la nuit sur les tranchées adverses qui sont trop proches des nôtres. On nous a parlé depuis longtemps de grenades à fusil (les Allemands en ont et nous en envoient) ; on a fait, parait-il, des expériences de lance-mines avec des petits mortiers de Place (?), mais nous n’avons rien de tout cela, et nous nous laissons bombarder la nuit, comme des idiots.
Jusqu’à 14h, la journée est calme ; je suis allée ce matin dans les tranchées Leblond ; l’insouciance des hommes devant le danger devient extraordinaire ; j’ai vu dans une position de tranchée à moins de 100m de l’ennemi, des hommes qui faisaient sécher leurs chaussettes, et un poilu qui se faisait tranquillement couper les cheveux ! On peut dire avec certitude que le moral de la plupart de ces gens-là est bon.
Reçu en rentrant une grande lettre de Dédé et une carte-lettre de Mme Beaulieu (?).
Pendant mon retour à St Pierre, entendu une grosse canonnade vers Soissons.

Lundi 25 janvier
En me levant, je me suis fait couper les cheveux, opération qui devenait tout-à-fait nécessaire.
Ecrit à Priou (?), à Jeanne, à René.
On dit que les Anglais seraient arrivés en arrière de nos lignes et qu’un Général anglais aurait été vu avec le Général Ebener, commandant la 35e Corps d’Armée.
Le Colonel a invité ce matin à déjeuner les officiers du 21 et 22 (bordeaux, bourgogne, champagne) ; d’ailleurs, voici le menu : jambon aux petits pois, veau rôti avec pommes soufflées, foie gras truffé, entremets à la crème, gâteau au chocolat ; Sauterne, Pommard, Moet et Chandon. Après le déjeuner, pour la première fois, je joue au poker +3.30.
Reçu ce soir une lettre de Jeanne du 21.
Donné 6.75 à Laferrière pour la popote (23 au 25 inclus).
Nuit calme.

Mardi 26 janvier
La journée a été fort calme. Ce matin, visite des tranchées sans incident. Dans l’après-midi, le Colonel vient aux tranchées avec le Lieutenant-Colonel Jouniot, du 265, les Chefs de Bataillon de ce régiment, le Colonel Mercier ; tout cet aréopage vient visiter le secteur en vue d’une modification qui n’est guère à l’avantage du 316, comme par hasard. Nous avons actuellement 40 jours de tranchées et on nous offre 4 jours de repos ; ensuite, les 2 chefs de Bataillon passeront 8 jours aux tranchées consécutifs, puis 4 jours de repos, nous verrons après.
Un jeune sous-lieutenant du 51 vient examiner les emplacements possibles pour une pièce du 37. Les officiers du 90 règlent un tir sur les tranchées allemandes.
Je n’ai écrit aujourd’hui qu’à Jeanne.
Rentré par le plateau ; le sol est gelé malgré le temps gris et couvert.
A mon arrivée à St Pierre, je reçois une lettre de Jeanne du 22 et une lettre de Madame Jacquet.
On me prévient qu’un poker fonctionne chez les médecins ; j’y vais, je joue et je gagne 3F.

Mercredi 27 janvier
Ecrit à Jeanne, à René, à mon père.
Je passe ma matinée tranquille à St Pierre, à faire ma correspondance dans la salle de la popote, avec Le Roy et Cazenavette. Vers 11h, arrive un ordre de se tenir prêt à partir pour un dispositif spécial, les hommes équipés faisceaux, formés dans les cours. Nous restons dans cette situation toute l’après-midi.

faisceaux
Un poker s’installe chez le Docteur. J’y gagne 5 Francs.
La relève se fait à l’heure habituelle. Au moment de partir, j’apprends que Courvener (?), sous-lieutenant commandant la 21, passe au 40 d’infanterie. Je regrette cet officier actif, ferme et préoccupé de son devoir. En arrivant au poste, on me fait constater que le Dr Josserent (?) y a fait apporter des modifications peu heureuses ; il a fait étayer les solives avec des pieux si bien placés qu’on ne peut plus s’assoir à l’aise, et qu’on ne peut plus que difficilement se coucher trois comme avant, sur le lit de camp. Il doit être enchanté de son travail, mais moi beaucoup moins.
Vers 19h15, le service normal est repris dans le secteur. A 18h et 18h15, devrait avoir lieu des tirs d’artilleries ; nos batteries ont bien tiré quelques coups, mais pas avec l’intensité qu’on pouvait attendre après la communication qui nous en avait été faite.
Reçu cartes de Jeanne et de René.

Jeudi 28 janvier
La nuit a été calme.
Hier soir, vers 7h, on a entendu chanter dans les tranchées situées en avant de Moulin-Moulin ; j’ai prié le 90 de mêler sa voix à celles des chanteurs. Je suis allé ce matin voir le poste de commandement de Moulin-Moulin. Le trajet de ce poste à la Grande tranchée est vu de l’ennemi. On travaille actuellement (265) au poste du ravin. Revenu par la Grande tranchée. Boyau B – Cousin – Boyau C.
Entre midi 50 et 13h10, 12 obus de 77 sont tombés dans le voisinage de mon poste. Le 265 travaille depuis hier à des obus sur la lisière du bois et a dû être repéré.
Un Chef d’Escadron de Cavalerie et un Capitaine d’Artillerie de l’EM du 35 Corps d’Armée sont venus visiter les tranchées de la 2ème ligne du secteur ; je les ai fait accompagner par l’adjudant-chef Audinet (?). Le Colonel désire que le Chef de Bataillon soit seul dans son poste. Je vais le faire aménager en conséquence.
Ecrit ce matin à Jeanne et à Jacquet.
Un jeune sous-lieutenant du 51 d’artillerie m’a dit aujourd’hui que le 105 avait tiré hier 101 coups de canon sur les boches pour la fête de l’Empereur.
Reçu en rentrant une lettre de Jeanne du 24.

Vendredi 29 janvier
Le général Ebener est allé aujourd’hui visiter les tranchées.
Avant déjeuner, fait un petit poker et gagné 2.50.
Ecrit ce matin à Jeanne et à René.
Dans l’après-midi arrive au régiment le Chef de Bataillon Méandre de Sugny. Comme il n’y a pas de vacances, je me demande ce qui va se passer. Lequel de nous, Berthoin ou moi va céder la place ? J’espère que ce ne sera pas moi qui ai fait toute la campagne jusqu’ici avec le Régiment.
Avant de partir aux tranchées, je reçois une lettre de Jeanne, du 25, qui m’annonce la mort de Duronnet, sans plus de détail. Encore un ami disparu ! On m’apporte vers 20h une autre lettre de Jeanne du 26.
La soirée est calme ; il fait beau et froid.

Samedi 30 janvier
Je suis allé faire une visite aux tranchées. Rien de particulier. Quand je reviens, je trouve l’ordre d’envoyer un gradé à Rivoli pour donner des renseignements à un Capitaine du 75 sur les tranchées de notre secteur. Je désigne Audinet, adjudant-chef de la 23, qui aime ces sorties d’expédition et qui connait parfaitement notre coin.
En m’apportant le déjeuner, Drouet me remet une boîte d’excellentes crottes de chocolat, envoi de Mme Beaulieu pour le secteur II.
Dans l’après-midi, le 75 expédie 60 obus à mélinite sur les tranchées allemandes ; excellent travail, parait-il.
Le Commandent de Sugny et le Colonel viennent au Poste ; le Commandent seul se rend aux tranchées. J’ai fait modifier l’installation du Poste de façon que le Chef de Bataillon y soit seul avec son téléphoniste. Mais qui occupera ce poste ? Berthain ou moi ? Nous allons tirer au sort ce soir avec autorisation du Colonel.
18H. J’ai tiré au sort et le poste du ravin m’est échu.

Dimanche 31 janvier
Notre repos à Bitry est officiel. Il commencera demain soir, et le secteur va continuer, jusqu’à nouvel ordre, à être occupé comme auparavant, c’est-à-dire avec la relève quotidienne : le Régiment va fournir 2 Compagnies chaque jour au secteur. Que durera notre repos ? nous n’en savons rien.
Ecrit aujourd’hui à Jeanne et à René. J’envoie à Jeanne la lettre de Guillot.
Le Général de Brigade m’a fait demander dans l’après-midi pour me demander mon opinion sur le Capitaine Vanier (?), venu ce matin du Dépôt. Dans la conversation, il m’a dit qu’il espérait nous donner une dizaine de jours de repos ; espérons que nous pourrons en jouir.
On dit que les Anglais sont arrivés à Grison-Lamotte. Je relève Berthoin à l’heure habituelle.
Je reçois avant de partir une lettre de Jeanne et une lettre de René. J’écris à Jeanne avant de me coucher. Impossible de dormir avant 2h du matin.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Février 1915

Lundi 1re février
Je suis submergé de paperasse ce matin : inventaire du matériel, proposition pour des décorations russes, état d’encadrement des unités. De plus, mon adjudant est parti à Bitry avec le campement, de sorte que je suis obligé de tout faire moi-même, et bien entendu, tout est urgent, très urgent… Il parait que le plus urgent, ceux sont les propositions pour les décorations russes ! Je n’arrive pas à en saisir la raison.
Vers 10h20, le 51 art me demande de faire placer des journaux sur nos tranchées pour faire régler un tir de 75 sur les tranchées boches devant nous.
dans l’après-midi, le Commandent Cournaillau (?) du 265 vient prendre langue(?) pour me relever le soir. Je rentre à Bitry par des chemins déjà boueux en raison du dégel..
En rentrant, je trouve 2 lettres de Jeanne, dont l’une contient la photographie de mon grand et cher Flechois, à la physionomie sérieuse, une lettre de René, affectueuse et dénotant une envie de bien faire et de bien se conduire, qui me fait plaisir.
Je retrouve à Bitry la chambre que j’ai déjà occupé plusieurs fois. J’ai reçu la calotte (?) à choux que je me suis fait acheter pour coût 12.50.

Mardi 2 février
Ecrit à Jeanne et à René. J’ai passé la matinée à flâner au presbytère ; fait ma correspondance. Après déjeuner, promenade à cheval à Attichy –  Bonneuil – Lamelle – Cousin – Janson – Bitry. Puis fait un bridge avec le Colonel  Singny, Laferrière et le petit Bourquin… 15. Puis un poker -2. Payé 9F pour la popotte à Cazenavette, qui a gagné au poker, offre 9 bouteilles de Pommard à la table ; ce matin, le Colonel de Sugny en avait déjà offert deux.
Reçu ce soir une lettre de Jeanne et une de René.
Envoyé 400 F à Jeanne.

Mercredi 3 février
Ecrit à Jeanne et à René. Promenade à cheval dans l’après-midi à Attichy. ??? avec de Sugny et Laferrière. Bridge -6.
Aucun courrier ce soir, sauf un mot de Le Busset (?).
Demain, en Bataillon, composé de la 2ème Compagnie du 5e et 2 du ?? (23 et 29) ??? à une revue à Derthond (?), sous le commandement de Berthony (?). 20 km aller et retour pour une cérémonie de ce genre, c’est beaucoup ; d’autant plus que 29 et 24 vont aux tranchées à leur retour.
Payé 10F à Doué.

Jeudi 4 février
Assisté ce matin à l’inspection du Lieutenant-Colonel pour le Bataillon de revue. Comme il fait beau, des avions, boches et français, sont en vue. Pourvu que ce Bataillon n’écope pas en route : ile me semble que les Allemands ont tirés ce matin sur Attriche.
Reçu hier la 2e boite de chocolat de Mme Beaulieu ; je lui écris aujourd’hui pour l’en remercier. Envoyé un mot à Ousset (?), Hôpital Aux 45, 127 avenue des Champs Elysées à Paris.
Après le déjeuner, je suis allé avec le Colonel de Sugny voir la mitrailleuse delamel (?) (contre avions). En raison du beau temps, beaucoup d’avions sont dehors, surtout français ; j’imagine qu’ils ont du être commandés de service pour protéger la revue du Général de Compagnie C.A. contre les indiscrétions des avions boches. Un appareil a atterri au Nord de Gamet ; probablement vers l’entrée de Bitry ; il devait être français et avoir été touché par le canon boche ; je n’en suis pas certain, mais ce sera précisé, sans doute, dans la soirée.
Ecrit à René, à Guidou.
L’avion était français (???  blindé), et a eu une panne de moteur qui l’a obligé à atterrir, heureusement dans nos lignes, entre Gamet et Navet.
Reçu un colis de Vannes, avec chocolats, cigares, briquet, poires 0°, et un courrier composé de 2 lettres de Jeanne, 1 de René, 1 de grand-père.
Commandé une culotte à Buisson.

Vendredi 5 février
Ecrit à Jeanne et fait prendre un mandat de 11F pour Th (?) Thomas.
Avions nombreux dans la journée. Ciel magnifique. Promenade à cheval avec Laferrière (Attichy – Cr??? – Fou???). En rentrant, 11 avions, tous français, à l’Est de Bitry.
Je reçois la visite du Capitaine Nicolet, du 170e, actuellement au repos à Cointreux (?) ; visite qui me fait vraiment plaisir, car j’aime ce grand garçon un peu blagueur, mais plein de coeur, vigoureux et bel officier. Son Bataillon a pris part à l’affaire Lecaisson (?) pour couvrir la retraite qui s’est effectuée d’une façon parfaite, parait-il.
Reçu seulement une lettre de Ch. Cronner (?).
Bridger +102

Samedi 6 février
Ce matin, revue de la 21 Compagnie, puis déjeuner pantagruélique avec invités (Brétineau, Granant, Peron, Maquart, Pribot ?) : huîtres – omelette aux champignons – dinde rôtie aux petits pois – foie gras – entremet – fruits – Sauterne – Nuit St George 1911 – Moët et Chandon.
Joue au poker et perdu 7 sous, et au bridge et perdu 13 sous.
Je ne reçois ce soir qu’un mot de Mme Duroisel, et rien de mes chers petits. C’est le 2e jour sans courrier ; j’espère être dédommagé demain.
Le commandent de Sugny est désigné pour passer au 170, qu’il rejoint demain matin. Je vais encore écoper les fonctions de projet (?) du cantonnement.

Dimanche 7 février
Vu le 24e (inspection tous les cantonnements).
Nous apprenons aujourd’hui que le Général Delarue est nommé au commandement d’une division et qu’il est remplacé à la tête de la Brigade par le Colonel Niessel que j’ai connu Capitaine à Belfort.
Fait une petite promenade à cheval par Attichy Auzy.
Un détachement de renfort est arrivé dans l’après-midi sous le commandement du Lieutenant Hautereau. Un sergent, cousin du Colonel, dîne avec nous ce soir à la popote.
Reçu ce soir un mot de Mme Duchat, une de Marie et 2 lettres de Jeanne (2 et 3 février).

Lundi 8 février
Vu la 22e Compagnie.
Je suis allé dans l’après-midi voir le Colonel Delarue et le remercier de la bienveillance et de l’intérêt qu’il m’a toujours témoigné.
Je rencontre le Lieutenant-Colonel Veret, nouvellement promu, et qui va commander un régiment dans la division Delarue, division de nouvelle formation et mis en réserve d’armée.
Promenade à cheval, seul, à Attichy.
Ecrit à Mme Duchat, à Marie, à Jeanne. Reçu une lettre de Jeanne du 4, et une lettre de Prieu qui est retourné au Front (secteur 94°). J’apprends que le 352 est à notre droite. Il a remplacé le 54e régiment, et quelques unités du 170.

Mardi 9 février
Ecrit à Jeanne, à René, à Branne (?)
Le Lieutenant Couëtvin (?) vient me voir pour me demander d’appuyer sa proposition pour officier de réserve ; il me donne les renseignements sur ses antécédents qui, une fois vérifiés, sont en effet de nature à provoquer des appréciations favorables sur son compte.
Jeanne m’a annoncé hier un colis de chemises, serviettes, etc. que je recevrai quand ? Si encore, il se trouve avec les bagages du détachement arrivés avant-hier, je puis espérer l’avoir ces jours-ci.
J’ai aujourd’hui 29 à Cornbat (?), 24 à Bonnal (?), 22 Le Jav (?) et 21 Lepiquet (?).
J’emploie une partie de l’après-midi à mettre de l’ordre dans mes cantines ; je suis effrayé de la quantité de bougies que j’y trouve : 7 paquets entiers et 2 entamés. Plus une respectable réserve de tabac.
Gravrant (?) renommé chef drapeaux et chef du service téléphonique, revient à la popote aujourd’hui.
Le Colonel ne dîne pas avec nous ce soir, il est invité à la Brigade.
Bridge – 23

Mercredi 10 février
Nous sommes prévenus que le Général Joffre passera demain une revue à laquelle participera un Bataillon de Régiment avec Colonel, drapeaux et clairons. Nous faisons les préparatifs nécessaires.
Bridge + 49
Aucun courrier ce soir. J’ai écrit ce matin à Jeanne et à René. J’écris ce soir à Jeanne, car je n’aurai pas le temps demain matin avant le départ qui aura lieu à 7h1/2.

Jeudi 11 février
Partis ce matin par un épais brouillard pour le terrain de la revue, situé entre le château de Ste Claire et Rethondes. Le Bataillon est composé de 18 – 20 – 23 – 24, avec le Drapeau et le Colonel. A notre arrivée sur le terrain, nous prenons notre place parmi les troupes participant à la Revue, et qui sont : le 4e Bataillon de Cherchxxx (?) alpines (?) territoriaux,  un Bataillon du 87e territorial, 1 Bataillon du 316, 1 Bataillon de zouaves avec musique, 1 Bataillon de tirailleurs, 1 groupe d’artillerie de 75 (Mallet), 1 Régiment de chasseurs d’Afrique à 3 locations (?), 1 régiment de spahis à 4 escadrons ; ces derniers avec le grand burnous rouge. Le Général Joffre arrive en voiture vers 11h45, et procède à la remise des décorations. J’aperçois dans le groupe des légionnaires parrains, le Colonel Batteh (?), ancien Lieutenant-Colonel du 31 d’Afrique.
Le défilé a lieu ensuite, l’infanterie en colonne double, la musique des zouaves, l’artillerie au trot et la cavalerie au galop.
Le défilé terminé, le Général en Chef fait manier près de lui tous les officiers montés, il se fait présenter les chefs de Corps, à qui il demande des renseignements sur l’état physique et moral de leurs troupes ; puis il nous dit quelques mots, nous laissant entendre que le retour de la belle saison serait le signal d’opérations nouvelles pour lesquels il compte sur nous. Le Général parti, nous prenons sur le terrain un repas froid et nous rentrons à Bitry, sans incident. Le brouillard s’est levé et je constate que cette vallée de l’Aisne est vraiment bien pittoresque. Arrivé à Bitry à 16h.
Reçu courriers en rentrant : 2 lettres de Jeanne des 6 et 7, une lettre de Dédé, une Le Darie (?), et 2 avertissements d’impôts.
Dans la nuit, grosse canonnade vers l’Est, sans doute vers Soisson.

Vendredi 12 février
Ecrit à Jeanne, à René à qui je glisse 1 billet de 5f dans ma lettre. Je n’ai rien fait aujourd’hui. On présume que nous reprendrons les tranchées sous 9 ou 4 jours, Bataillons accolés, et que les Chefs de Bataillon resteront 8 jours, peut-être même 16 jours de suite à leur poste : charmante perspective.
Reçu ce soir une lettre de Jeanne du 8 février, une carte de la choute pour ma fête, et une lettre de René..
Puis, vers la fin de notre dîner arrive un jeune sous-lieutenant venant du 3e Corps (M. Grenouillant) qui a passé par Vannes et m’apporte un paquet contenant le réchaud du troupier et du papier à lettres ; plus un petit mot de Jeanne.
Reçu aussi un accusé de réception de la Commandante (?) à une culotte bleue à Brisson (??).

Samedi 13 février
J’écris ce matin à Jeanne, et je glisse dans ma lettre 2 petites photos, l’une du poste de commandement de la lisieu (?) Dubois, l’autre de Maquart, Cazenavette et moi dans le jardin du presbytère.
Le Colonel a réuni ce matin les Chefs de Bataillon pour la question de la relève. J’aurai le poste du ravin (ancien), et mon secteur ira du ruisseau au boyau C. Les Chefs de Bataillon pourront, parfois, descendre de leur tanière pour aller à St Pierre. Je ne sais pas si je profiterai beaucoup de cette latitude ; si je suis installé convenablement, paresseux comme je suis, je préfèrerais, je crois, rester tranquillement à mon poste ; à moins qu’un jour de beau temps, je sois tenté de faire une petite promenade ; enfin, je verrai, je ne me dissimule pas, par ailleurs, qu’il faudra, en somme, rester 16 jours sans se déshabiller, ce qui est assez long. Mais, qui sait ? peut-être y aura-t-il du changement avant que nous ayons fait un séjour complet dans le secteur.
Reçu ce soir  une carte de Jeanne, une lettre de Jacquet et une lettre du Professeur St Thomas m’accusant réception de mes 11 francs. Voici le relevé des sommes restants dues : 5 mars 11 – 6 avril 10,20 – 5 mai : 10 – 5 juin 10 – Total : 41,20.
Au diner de ce soir, il passait un souffle de gaité qui nous a amenés à raconter quelques histoires au dessert, et nous avons ri comme des bossus.

Dimanche 14 février
Assisté à la messe de 9 heures.
Ecrit à Jeanne et à René. Je me demande si ce grand fiston a pu aller à Vannes, et j’envie ma chère Jeanne de pouvoir avoir avec elle ses deux enfants.
Fait dans l’après-midi une courte promenade à cheval jusqu’à Attichy, où j’ai recoupé les 23 et 24 en marche militaire. J’en ai profité pour féliciter les Adjudants Chefs Gorand et Guyon de leur nomination au grade de sous-lieutenant.
A mon retour, je fais une tentative, sans résultat, pour me présenter au Colonel Nievel, qui est absent. Il est allé voir une Compagnie du 5e Bataillon faisant du combat, et a fait maintes observations que le Lieutenant Colonel m’a communiqué vers 4h.
Reçu ce soir une lettre de Jeanne du 11 février.

Lundi 15 février
Ecrit ce matin à Jeanne, et mis dans ma lettre les 2 avertissements pour les impôts de St Jean et de St Saturnin.
Fait une petite promenade à cheval avec Floch et Le Roy par Attichy – Golzy. En rentrant, nous avons vu des obus allemands éclater dans la direction de Courtieux. Fait ensuite un bridge.
Ce matin, déjeuner de Gala avec les officiers du 29 et 24 comme invités. Menu : langouste mayonnaise, escalopes de veau au petits pois, dinde rôtie, haricots verts, entremets, dessert. Vins : Hospice de Beaune 1889, Moët & Chandon.
Reçu ce soir une lettre de Chemin, une de Jeanne et une carte de René, qui doit être à Vannes en ce moment. Que mes petits doivent être heureux de se retrouver ensemble ; quand viendra mon tour ?

Mardi 16 février
Ecrit à Jeanne et à René.
Belle journée, quelques avions sont sortis. Dans l’après-midi, je suis allé à l’exercice avec la 24, comme en temps de paix ; toutefois, 2 obus allemands sont allés vers Courtieux. Il parait que ce matin, il en est tombé sur Jaulzy.
Rien de particulier aujourd’hui. Il est venu 2 gendarmes de la prevete (?) pour faire à Bitry la police des débits.
Bridge et réglé les parties de ces jours derniers +60.
Je n’ai reçu ce soir qu’une carte de Guidou.

Mercredi 17 février
Ecrit ce soir à Jeanne, à Chemin et à mon père.
Grosse canonnades en matinée vers Nouvrez (?).
J’ai été appelé dans l’après-midi par la Brigade pour une affaire de vin, comme major de cantonnement.
Le Colonel Niesel, qui m’a reçu, n’a pas eu l’air de me reconnaître ; je me suis bien gardé de faire aucune allusion à notre ancienne garnison commune. Je ne sais si, réellement s’il ne m’a pas reconnu, ou s’il n’a pas voulu me reconnaître, mais je n’ai pas bronché. Il a d’ailleurs été très agréable, et ne m’a parlé que de service.
Bridge -8.
Reçu ce soir une carte et une lettre de Jeanne et une lettre de Brabry (?).

Jeudi 18 février
Ecrit à Jeanne et à René.
Tous les jours, maintenant, à diverses heures, les Allemands envoient des obus vers Courtieux, Vic, Jaulzy.
Cet après-midi, j’ai assisté à un exercice de la 21e sur le plateau au Sud de Garnet. Le Colonel Niessel et le Lieutenant-Colonel Playette y sont venus, mais y sont restés peu de temps.
Reçu ce soir une carte de Busset et une lettre de Jeanne.
Bridge -18.

Vendredi 19 février
Bains de pieds, etc. En arrivant à la popote pour prendre le café au lait, je trouve 2 potards militaires venus pour expérimenter un filtre pour l’eau…
9h du matin, Le Roy nous apprend que le régiment reprend le service des tranchées à partir de demain soir. Nous saurons tous à l’heure dans quelles conditions puisque le Colonel nous réunit à 10h.
11h. Nous allons demain soir aux tranchées dans les conditions déjà communiquées, c’est-à-dire : Bataillons accolés, le 6e à droite, ayant chacun une Compagnie à St Pierre. Le séjour sera de 16 jours pour les Chefs de Bataillon, très probablement.
Ecrit à Jeanne.
Le Colonel nous a réuni encore à 18h à son bureau pour les dernières dispositions à prendre avant notre départ. Il est sous le coup de la nouvelle de la mort de son beau-fils, qui a été tué d’un éclat d’obus dans un abri.
Aucun courrier ce soir.

Samedi 20 février
Ecrit ce matin à Jeanne et à René.
Il y a eu encore réunion des officiers ce matin à 10h pour nous préciser, une fois de plus les instructions du Colonel Niessel au sujet des travaux à faire dans le secteur, et ils sont nombreux ; il nous fait donner lecture, en même temps d’une note sur la crise économique en Allemagne et Autriche.
Je pars à 4h1/2 du soir pour prendre mon nouveau poste au ravin ; je trouve une baraque d’aspect confortable, tout en bois ; je m’y installe avec Le Roy à qui je donne l’hospitalité cette nuit ; mais je ne tarde pas à m’apercevoir que cette baraque est très froide et j’ai mal dormi à cause de cet inconvénient.
Reçu ce soir une lettre de René, et rien de Jeanne (2e jour).

Dimanche 21 février
Je vais dans la matinée voir la tranchée Cousin, une partie de la Grande tranchée et les environs ; rien de particulier pendant ma visite. Au retour, je rencontre Berthier revenant des Cousins qui m’annoncera la visite du Capitaine Renoir, l’E.M. de la Division pour cet après-midi. D’après ce que me téléphone plus tard le Colonel, cette visite prépare celle du Général Nivel ??
Entre 13h30 et 13h45, 9 obus de 159 tombent dans les parages de la Grande tranchée ; l’un d’eux obstrue la tranchée sans causer autre chose que des dégâts matériels ; c’est une chance ! Notre 75 tire beaucoup aussi de 14h à 15h. J’étais un peu déshabitué à cette musique qui commence à me porter sur les nerfs ; décidément, je crois que je baisse. Que sera-ce quand j’aurai passé 16 jours ici et peut-être plus.
Dans la soirée, on me change mon poêle contre un plus gros ; on m’apporte un matelas, un oreiller et des draps ; bref, ma turne va devenir habitable. Et de fait, je passe une bonne nuit, à peu près complètement déshabillé. .
J’ai eu 2 lettres de Jeanne le 17 et 18 février.

Lundi 22 février
Ecrit hier soir et ce matin une longue lettre à ma femme.
Voisin apporte un lapin qui s’est maladroitement fourré la tête dans un collet.
Il a gelé cette nuit, et un brouillard épais nous couvre ce matin. Je suis allé dans la matinée au poste de Moulin-Moulin, puis au poste du Chemin Berthois.
Dans l’après-midi 2 obus de 150 sont tombés près de la porte de Mouliez, et 8 ?? et aux environs de la Grande tranchée. Le Colonel était parti pour voir le secteur de ce côté-là, il a dû faire demi-tour, mais il y est allé plus tard.
Dieu ! qu’est-ce ??? ainsi tout seul à longueur de journée. La lassitude se fait sentir au point de vue moral. Je reçois ce soir un mot de mon cher grand fiston ; je vais lui répondre tout de suite, cela m’occupera.
Le poste que j’habite est, je crois, le 7e depuis que je suis dans la région (Combat – Caserne du plateau – 1re poste du ravin – 2 au point A – poste du secteur 2 – Ravin).

Mardi 23 février
Ce matin, visite à la Grande tranchée, à Canses ?. En rentrant, je reçois un avis que le Lieutenant-Colonel de la Division viendra à 11h visiter le secteur ; rendez-vous est donné au poste de Berthier, où j’arrive à l’heure, intrigué. Après cette visite, tombe une avalanche de notes de la Brigade au sujet des travaux (fils de fer, abris, etc.). Il faut fournir des propositions avec croquis, dès demain à midi. Donc, je retournerai dans le secteur demain matin pour voir tout cela. Il parait que rien n’est bien dans nos tranchées ; on va pouvoir travailler ferme.
Reçu 2 lettres de Jeanne.

Mercredi 24 février
Journée bien remplie. Tourné dans le secteur ce matin pour faire les propositions dont il est question ci-dessus. Puis, après déjeuner, nouvelle tournée avec le Colonel Niessel, un Lieutenant-Colonel de la 6e armée et un Colonel du Génie. Nouvelles observations, fort nombreuses et assez peu bienveillantes du Colonel Niessel. Décidément, nous ne sommes que des imbéciles et des paresseux. La tournée dure jusqu’à 5h, et je rentre tout juste assez tôt pour envoyer au Lieutenant-Colonel les papiers qui devaient lui parvenir à 18h, et que j’ai dû bâcler en hâte ; je me suis obligé à lui envoyer à ce sujet un mot d’excuses.
Vers 6h, je reçois de Berthier un coup de téléphone qui m’apprend que je suis nommé Chef de Bataillon à titre définitif. J’en suis très heureux, car c’est la consécration de 6 mois d’efforts.
Rien au courrier de ce soir.
Cazenavette vient passer un moment avec moi après dîner et nous bavardons en fumant des pipes jusqu’à 10h1/2 passé.

Jeudi 25 février
Aucune confirmation de ma promotion. C’est du moins bizarre.
Je vais dans la matinée voir la tranchée Cousin ; puis, en rentrant, je déjeune avec Cazenavette ; nous dégustons les lapins pris par mes poilus.
Je reçois 8 pages de prescriptions et d’observations du Colonel Niessel qui doit venir (encore !) demain matin dans le secteur. Je serai encore rabroué, comme par hasard, mais ma conscience est en repos, et je me souviens des paroles de l’imp??? sur l’opinion des hommes. « Vous n’êtes pas plus imparfait parce qu’on vous blâme ni meilleur parce qu’on vous loue : vous êtes ce que vous êtes ».
Je passe mon après-midi à relire toute la liasse d’instructions que j’ai entre les mains.
Ce soir, après dîner, je suis allé avec Galerbe voir le secteur de Moulin-Moulin : il est déplorable et ne peut guère être amélioré. Toutefois, je fais attaquer le boyau Sermandé ? par le Colonel Niessel.
Reçu 2 lettres de Jeanne, et une lettre de Gouvermé ? et écrit une lettre à Jeanne

Vendredi 26 février
Fort brouillard ce matin.
La visite du secteur consacrée à l’étude des centres de résistances de la 2e ligne commence à 8h1/2 et se termine vers midi. Le Colonel Niessel a mis de l’eau dans son vin et fait même des compliments sur certains points. Il s’est aperçu, sans doute, de la stupeur reflétée par nos physionomies à la dernière visite, et je crois aussi que le Lieutenant-Colonel a plaidé notre cause. Enfin, tout se passe très bien sans la moindre aigreur…
Le brouillard s’étant levé dans l’après-midi, nos avions circulent ; l’un d’eux est particulièrement à partie par l’artillerie allemande qui tire dessus peut-être 100 obus.
Je reçois confirmation, par téléphone, de ma promotion au grade définitif. Je suis nommé par décret du 22 février.
Les Allemands canonnent presque sans arrêt le plateau à l’Est du ravin et de St Pierre avec des 150 ; les obus passent au-dessus de mon poste, et on dit qu’ils manquent de munitions !
Ecrit à Jacquet, Guidou, Marie, Souvernin ? et à Jeanne. Reçu carte-lettre de René.
Visite de Laferrière et de Guignon ?.
15.95 pour la popote.

Samedi 27 février
Je suis mis en relation, ce matin avec le secteur n°1 en me rendant à Combat où j’ai trouvé Mathieu et Rouquette. Rencontré en rentrant le Commandent Robichou. Ensuite, je suis allé dans mon secteur, à la Grande tranchée et à Cousin, où j’ai constaté qu’on avait rien fait la nuit dernière. J’ai reconnu en même temps un emplacement d’observation à droite du boyau A. Rentré de Cousin à la Grande tranchée par la lisière du bois où court un ancien boyau où il faut marcher à 4 pattes si on ne veut pas être vu et canardé.
Après déjeuner, le Colonel Pleyette est venu me voir et je l’ai accompagné de nouveau aux tranchées, de sorte que j’y ai passé ma journée.
Ce soir, pour mon dîner, j’ai dégusté du lapin pris au collet par mes fidèles agents de liaison cuisiné par eux et qui était délicieux. Aussi, il y a distribution de cigares.
Ecrit à Jeanne, René, Grand-père et Busset. Reçu une lettre de Jeanne et du Grand-père.
Gaberne et le Vaguemestre viennent passer 1 heure avec moi vers 9h1/2 du soir. Cigares.

Dimanche 28 février
Ce matin, vers 10h, je suis partie aux tranchés du plateau et n’en suis revenu qu’à 12h30. Mes poseurs de fil de fer de la 23e ont très bien travaillé cette nuit, et ont placé 70 éléments triangulaires qui constituent une très solide défense. D’ailleurs, tout le monde travaille avec entrain, et les progrès sont sensibles.
Dans l’après-midi, je vais voir les abris des pelotons de réserve, puis vers 5h le Colonel arrive. A la tombée de la nuit, vers 18h, nous nous dirigeons vers la Grotte, et de là, à la ferme de Moulin-Moulin ; puis nous rentrons à 19h1/4.
reçu un mot de Lambilly et une lettre de Jeanne du 25. Il me manque une lettre du 24. Ecrit à Jeanne, à Lambilly, à Bredin.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mars 1915

Lundi 1re mars
Je suis resté à mon poste dans la matinée. Vers 10 h, j’ai été prévenu que le Colonel Niessel viendrait visiter le secteur à 12h15 ; je n’avais aucun moyen de prévenir mon ordonnance de m’apporter mon déjeuner plus tôt, et j’ai dû me contenter d’une tablette de chocolat avec le pain, un peu de saucisson fourni par Veriez et une timbale de vin. La visite a duré jusqu’à la nuit close, et je suis rentré à mon poste à 7h-10. Le Colonel a constaté qu’on avait beaucoup travaillé dans le secteur, et je dois reconnaître que le sous-secteur de Berthier à plus d’oeil? que le mien ; il est vrai qu’il est moins étendu.
Reçu ce soir une lettre de René du 27, et une lettre de Jeanne écrite le 26 et le 27.
Notre artillerie a beaucoup tiré aujourd’hui sur les tranchées boches ; à 4h1/2, ce soir, quand nous étions à la tranchée Leblond, le 7e envoyait de la mélinite sur un emplacement de pièce unique du boyau 5.
Ecrit à Jeanne.

Mardi 2 mars
Ce matin, je suis allé au poste de ?? à 8h1/2, où le Colonel nous avait convoqué. Puis je suis parti à Cousin, de là, à la Grotte voir un emplacement pour un boyau d’accès à Moulin ; je suis rentré par Cousin à mon poste à midi et 1/2. J’y suis resté toute l’après-midi.
Deux officiers supérieurs de la E.M. de la 6e Armée sont venus visiter le secteur ; je les ai fait accompagner. J’ai eu aussi la visite de la Rouquette et d’Hazerue allant en première ligne régler des tirs ; puis Laferrière est venu avec Vilaine ; puis Galerne et Marande, de sorte que j’ai été constamment occupé.
Reçu ce soir une lettre de Jeanne du 24, en retard, par conséquent.

Mercredi 3 mars
Visité le secteur dans la matinée ; on y travaille ferme.
Dans l’après-midi, vers 16h, je suis descendu à St Pierre où l’on m’a remis un paquet venant de Vannes, contenant, outre une lettre, des dattes, des figues, 5 cigares, du papier à cigarette, et un gâteau de chez Dunand.
Bridge avant dîner avec Laferrière, Le Roy et Gourgon +22.
A diner, Le Roy arrose de 2 bouteilles d’Hospice de Beaune ses fonctions de Commandent de la Compagnie de Mitrailleurs.
Après dîner, et avant de me coucher, je prend un bon bain d’eau chaude dans un baquet prêté par Laferrière ; je change de linge et je me couche par la-dessus.
Reçu ce soir, outre la lettre contenue dans le paquet, une lettre de Jeanne, une carte de René et une carte de Bezard.

Jeudi 4 mars
Ecrit ce matin à Jeanne une carte-lettre.
Je reprends le chemin de mon poste de Commandement vers 8h1/2 ; et, en y arrivant, on me prévient que le Colonel Niessel va se rendre dans le secteur en passant par le poste de Berthois. Je m’y rends et nous parcourrons les tranchées (1ere et 2e lignes) ; je ne rentre qu’à midi 40 à mon poste. Le Colonel a trouvé que nous avions beaucoup travaillé et a indiqué les travaux nouveaux à faire, particulièrement dans le secteur au Nord de la Grotte.
Payé 10f à Douet et 9f à Laferrière. Laissé hier 400f à Grégoire pour me faire prendre un mandat. A voir aujourd’hui 426 F 50.
Ce soir, je suis allé à la nuit close à la Grotte faire voir au Commandent de la 24e les travaux à faire ; il faisait une obscurité profonde ; en revenant, j’ai glissé dans le chemin de Moulin-Moulin et suis tombé sur un fil de fer barbelé qui m’a labouré les fesses et la main gauche. Le Dr Nilaine est venu me faire un pansement et nous avons pris ensemble le café et pris un cigare.
Ecrit ce soir à Jeanne et à Bizard. Je n’ai eu aujourd’hui aucun courrier. Mis dans la lettre pour Jeanne un mandat de 400F.

Vendredi 5 mars
Reçu ce matin la note de Berthois et de Matthieu. Au moment de partir sur le secteur, je reçois un paquet de notes de la Brigade, relatives aux travaux. Il faut faire des comptes-rendus urgents soit aujourd’hui avant midi, soit demain matin. Je constate dans les tranchées une activité générale ; les boyaux se creuses, les traverses augmentent de volume, les fils de fer se renforcent, etc. On pourra bientôt, dans 2 ou 9 jours sans doute, aller de mon poste à la ferme de Moulin-Moulin.
Un jeune officier d’artillerie, le sous-lieutenant Leduc, vient avec moi examiner un emplacement pour mortier de 15, qui sera placé à hauteur de la 8e traverse du boyau A.
Reçu ce soir une lettre de Jeanne et une de Doué. Répondu aux deux. Mes agents de liaisons m’ont encore ce soir fait manger du lapin.

Samedi 6 mars
Visite de mon secteur ce matin de 8h1/2 à midi. Tout le monde travaille. A midi 10, au moment où je vais me mettre à déjeuner, coup de téléphone de la Brigade : le Colonel Niessel part de Bitry pour visiter mon secteur ; je déjeune au trop, et nous voilà partis par le boyau nouveau le long de la lisière du bois ; sur le plateau, ça va. Nous descendons à la Grotte, et delà, nous visitons une partie de la Compagnie de Moulin. « On n’y a rien fait depuis 2 jours, il n’y a pas de fil de fer, pas de traverses, les boyaux ne sont pas dans la bonne direction, etc, etc. » J’en prends pour mon grade et au delà. Je reçois l’ordre d’aller piqueter moi-même le boyau descendant du plateau, cette nuit, et de fournir un topo demain matin ; ce n’est pas un ordre, c’est un pensum. Mais, je le ferai.
A minuit, j’irai avec Galerne piqueter ce fameux boyau ; je doute qu’il soit mieux fait après qu’avant, car de l’avis de Deguin, le Lieutenant Dugarie, le piquetage sur les pentes ne donne rien de bon ; il faut aller pied à pied et se rendre compte, au fur et à mesure de l’avancement du travail, de la direction à lui donner… Je commence à être excédé de ces observations continuelles, et de ses ordres de toute sorte, qui ne laissent aucun répit pour réfléchir. Je passe aujourd’hui presque 8 heures dans mes tranchées, si c’est pour me faire en..ler ensuite, c’est que décidément, je ne suis qu’un bon à rien. Mais c’est curieux que je n’ai décliné ainsi que depuis le départ du Général Delorme qui m’avait en estime.
Reçu ce soir une lettre de Jeanne.
Donne ce matin 11 francs au vaguemestre pour le mois du Pr St Thomas. Ecrit à Jeanne et à René et au Pr St Thomas.

Dimanche 7 mars
Je suis parti à minuit avec Galerne pour voir ce fameux boyau à piqueter ; il faisait une obscurité telle que nous n’avons rien pu faire ; je suis rentré vers 3h-1/4. Ce qui ne m’a pas empêché d’envoyer un topo aujourd’hui, fait par Galerne, qui avait eu la précaution de faire un piquetage hier soir avant la tombée de la nuit. J’ai accepté son tracé les yeux fermés, c’est le cas de le dire.
Je suis appelé au téléphone dans la matinée par le Colonel Niessel, qui a changé d’avis dans la nuit au sujet de certains travaux. Heureusement qu’on ne les a pas commencés !
Je suis allé dans le secteur dans l’après-midi ; mon boyau A est terminé et est travaillé à celui qui descend du Plateau vers la Ferme. Cette nuit, on doit me piqueter une tranchée perpendiculaire à la Cousin, deux retours au Nord de la Grotte et une courtine pour la relève.
On nous communique aujourd’hui une note relative à notre relève, qui doit avoir lieu les 11 et 12 ; il est probable que ce sera mon Bataillon qui partira le dernier, donc, le 12. Il a plu aujourd’hui assez pour rendre les boyaux et les tranchées très sales.
Reçu ce soir une lettre de Jeanne, une de René, une de Marie. René se plaint qu’on leur ait raccourci les vacances de 7 jours ; ils auront 11 jours au lieu de 18 ; j’en prendrais bien aussi, moi, des vacances… Répondu à Jeanne et à René, et mis 5f dans la lettre pour ce fiston.

Lundi 8 mars
Visite ce matin le secteur avec le Lieutenant-Colonel et le Commandent Sergent du 265. Nous sommes allés jusqu’au poste d’écoute Nord du plateau, puis je suis rentré par Cousin. L’après-midi, je m’attendais un peu à la visite du Colonel commandant la Brigade, mais il n’est pas venu, ce sera sans doute pour demain. Dans ces conditions, j’avais l’intention de ne pas sortir, mais Guerthois est venu me voir et je suis reparti avec lui à Cousin, d’où je ne suis rentré que vers 5h, après être allé tailler une bavette avec Cazenavette.
Reçu ce soir une lettre de Jeanne des 4 et 5.
Ce matin, les officiers du 265 qui visitaient le secteur en vue de la prochaine relève ont été rappelés téléphoniquement à Bitry ; on m’a dit ensuite que ce régiment était alerté, dans quel but ? Nous n’en savons rien.

Mardi 9 mars
Les boches n’ont pour ainsi dire pas tiré un coup de fusil cette nuit ; aussi ai-je dormi paisiblement de 11h1/2 à 7h.
Je suis parti à 8h dans le secteur ; la 24 a creusé cette nuit 20 m de boyau au 11 (?), de son premier poste d’écoute arrivant un tracé fait par le Génie. Je suis revenu par Cousin et le Poste de Berthiez. J’apprends là : 1/ que le Lieutenant-Colonel s’est absenté de St Pierre est Moulin ; 2/ que le 265 est parti, parait-il de Bitry pour Berneuil ; 3/ que le Lieutenant-Colonel du 262 doit venir visiter le secteur dans l’après-midi. Tout cela fait présager un départ prochain de toute la Brigade. Pour où ? nous le saurons plus tard…
A déjeuner, l’adjudant de Bataillon, Rio, me fait offrir des huitres qu’il a reçu ce matin ; j’en prends 4 ; Puprie m’a envoyé un petit pot de rillettes. Tous ces gens-là soignent au mieux leur chef de Bataillon, qui voit dans ces petites attentions une marque de sympathie qui le touche.
Dans l’après-midi, le Lieutenant-Colonel du 262 et 2 Chefs de Bataillon de ce régiment sont venus visiter le secteur.
A 8h du soir, je reçois un message téléphonique du Lieutenant-Colonel me prévenant d’être demain matin à 7h45 à St Pierre pour faire une reconnaissance à cheval avec mes Commandants de  Compagnie. Je crois que cette fois, notre repos est bien compromis.
Reçu ce soir une lettre de Jeanne du 6, et une de grand-père. Ecrit à Jeanne et à René.

Mercredi 10 mars
Je suis parti ce matin à St Pierre à 8h1/2 avec Gulerme, Marande et Gremillard pour Tracy le Monté pour visiter le secteur du Général Zanaves. J’étais invité à déjeuner chez le Colonel Mongasson, commandant de régiment, et le Capitaine Gouveau de l’E.M. de la Grande Armée, le R.P. Henry, jeune capitaine décoré ; un jeune capitaine du Génie ; le Capitaine Gérard, commandant le Bataillon que je dois remplacer, et un médecin major (Dr Lemaire). Déjeuner agréable, tous ces officiers sont des africains, très cultivés et formant un milieu des plus intéressants.
Ensuite, visite de la partie du secteur qui m’est attribué, et qui est tenu d’une façon remarquable ; mon poste de commandement est en construction, et sera fini sous peu de jours. Nous ne rentrons à St Pierre qu’à la nuit noire, et je vais à la popote où j’apprends que le 5e Bataillon quitte le secteur dès demain matin et mon Bataillon après-demain à 5 heures, pour aller cantonner à Attichy.
Reçu une lettre de Jeanne du 5 et du 8. Répondu à Jeanne.

Jeudi 11 mars
J’ai aujourd’hui 30 ans de services.
Visite ce matin dans le secteur Moulin du Colonel Niessel qui s’est montré très satisfait du travail fourni. Ce n’est vraiment pas trop tôt.
Comme le 5e Bataillon et l’E.M. du Régiment ont quitté St Pierre ce matin, la tambouille m’est faite par Lacroix, mon agent de Liaison de la 24e qui est un bon cuisinier. Le petit Bourgeaut, médecin auxiliaire, déjeune avec moi ; il s’est installé à mon poste puisque l’autre est occupé dès aujourd’hui par le 262.
Vers 7h1/2 du soir, j’apprends par une communication de la 2e Division que l’infanterie allemande attaque le bois de St Mare, puis vers 9h que l’affaire est terminée. A peine couché, vers 11h, Garmond me téléphone de nouveau pour renseignements complémentaires : les Allemands ont lancés environ 1000 obus sur le bois de St Mare, puis, le croyant évacué, ont voulu y entrer avec de l’infanterie qui a été repoussée. J’avais bien entendu une grosse canonnade de ce côté-là, mais je ne savais pas ce que c’était. Les coups de fusils ont d’ailleurs été plus nombreux que d’habitude cette nuit sur notre front.

Vendredi 12 mars
Levé à 5h, je suis parti vers 7h pour St Pierre, d’où j’ai emmené mon Bataillon cantonner à Bitry. Je suis logé dans une sorte de Château derrière la Mairie, et je mange avec les officiers de la 23e, plus mes médecins. Nous buvons le champagne à déjeuner. Laferrière, venant de Berneuil, arrive pendant que nous prenons le café, et je vais lui faire un bout de conduite avec Dupont…
Nous apprenons dans l’après-midi que le Général Maunoury, commandant la 6e Armée a été tué par une balle en regardant dans un créneau d’une tranchée du côté d’Autrèches. La même balle a blessé le Général de Villaret. Nous déplorons tous cette fatale imprudence d’un grand chef estimé de tous, et dont la perte sera sensible à toute son armée.
Reçu une lettre de René, une carte et une lettre de Jacquet, une carte de Jeanne.

Samedi 13 mars
Lever à 8h-1/4. Toilette. Déjeuner. Correspondance. Ecrit à Jeanne et à René.
Schnell, le Capitaine du Génie, me dit que le Général Maunoury n’a pas été tué mais grièvement blessé ; le Général de Villaret le serait aussi grièvement.
Ecrit à Guigou et à Marie. Le bruit court que le 7e Corps va être rassemblé derrière notre secteur de Quennevrières.

Lundi 15 mars
Je n’ai rien écrit hier sur ce carnet ; samedi soir, nous avons décidé, à la popote, de ne pas nous coucher, devant partir à 1h du matin ; nous avons fait des manilles et fumé des pipes jusqu’à minuit… J’ai mis à 1h le Bataillon en marche pour Tracy-le-Mont par Berneuil –  St Crépin-aux-bois et le Parc d’Offemont. La nuit étant très noire, j’ai pris la route à pied (14km). Donc, le dimanche 14 mars, je relève de ces tranchées à 5h du matin le Bataillon Sciard des Zouaves . J’ai une Compagnie en première ligne, la 24e, et les 21 et 22 aux carrières de Tracy.
Mon poste de commandement est neuf, mais son installation intérieure n’est pas terminée. Je n’est pas de loquet à ma porte, ni de lit convenable. Dès que mes Compagnies sont en place, je vais voir ma 1ère ligne, de la gauche à la droite.
Dans l’après-midi, le Colonel Pluyette vient me voir, et je recommence la même tournée avec lui.
Notre popote n’est pas encore installée, et mes médecins et moi, nous en sommes réduits aux repas froids toute la journée.
Aujourd’hui, je vais toute la matinée au poste de Berthois à ma droite et au poste de Vauzelle à ma gauche. Vers 14h, je vais en première ligne voir Cazenavette et ses poilus ; je constate qu’on ne travaille pas ; je vais donner l’ordre de construire des chevaux de frise.
Vers 17h, il tombe une douzaine d’obus de 77 aux environs de mon poste, et quelques uns éclatent très près de nous. J’ai à ce moment, dans mon poste,  Vannier, Laferrière, Dupont, Bouquant, Galerne ; ils attendent pour partir que l’averse soit passée.
La popote fonctionne mieux aujourd’hui, mon cuisinier nous sert même une crème au café.
Je n’avais eu aucun courrier hier soir. Aujourd’hui, j’ai une lettre de René et une lettre de Jeanne, des 11 et 12. Ecrit ce soir à Jeanne, à René et au Colonel du Prytanée.  Reçu une commande d’épicerie de 2 bouteilles de Pommard, sel, poivre, pickels, moutarde, thé. Payé 10F pour le Pommard.

Mardi 16 mars
Visite dans la matinée de la première ligne de mon front. En revenant, je rencontre le Lieutenant-Colonel habillé de neuf : képi bleu à galons noir et gris, vareuse à écussons jaunes.
A déjeuner, mon cuisinier nous apprend que ce n’est pas lui qui fait la cuisine, mais Rouelle de la 21e ; nous voilà donc, mes médecins et moi, en substance, sans le savoir, dans la 21e.
Reçu la visite du Lieutenant Vauzelles, du 264, qui reste à mon poste jusqu’à midi.
Reçu une calotte bleue de chez Vousez ; elle a été expédiée le 13 février ; il a fallu plus d’un mois pour qu’elle me parvienne.
Reçu la visite de Besse rentrant de J. du côté de Ruermevières. Je suis resté dans l’après-midi dans mon poste, sauf quelques pas vers la 2e ligne.
Reçu 2 lettres de Jeanne et une de René. Ecrit à Jeanne seulement.

Mercredi 17 mars
A §h1/2, notre 75 sonne un réveil bruyant, à mélinite, à ces bons boches. Visite de la 1ère ligne dans la matinée avec Papon et Galerme, et déterminé la place d’abris à creuser pour une section de réserve.
Je suis allé dans l’après-midi aux carrières ; en passant, je suis entré dire bonjour à Laferrière et à Le Roy, très bien installés et salué le Colonel. Je visite les carrières, et j’en sors vers 16h. Il parait que, peu après mon départ, 2 obus boches sont tombés à 20 m de l’entrée. A peine rentré à mon poste que plusieurs obus (4 au moins) éclatent dans le voisinage : aucun dégât. Je crois que les Allemands en veulent surtout à l’observation Ouest.
Reçu une lettre de Jeanne des 14 et 15. Répondu et envoyé une carte à René.

Jeudi 18 mars
Prise de liaison à gauche avec Vauzelles dans la matinée. Je ne vais pas à la 1ère ligne, car on m’annonce la visite probable du Général de Division, dans l’après-midi ; il sera toujours temps d’aller « jambonner » la haut. Je m’occupe de quelques détails à la 2e ligne, où Vannier se trouve aujourd’hui.
Vers 14h, le Général de Division vient dans le secteur, avec le Colonel Niessel et le Lieutenant-Colonel Payotte ; un peu avant, les Allemands ont envoyés 50 obus de 150 sur la tranchée de la 1ère ligne du front et bouleversé le parapet de telle sorte  qu’on est obligé d’y passer très courbé. Il n’y a eu que des dégâts matériels. Nous revenons par le secteur du 264 et je rentre à mon poste  à 17h passées.
Après dîner, bridge avec Vannier et les médecins.
Aucun courrier ce soir.
J’ai envoyé un mot à Jeanne.

Vendredi 19 mars
Tournée ce matin à la1ère ligne. Les dégâts causés hier par les obus de 150 ont été réparés. Je suis resté dans l’après-midi dans mon poste ; les 2 artilleries ont montré une sérieuse activité, et de nombreux obus sont tombés dans le secteur, particulièrement vers l’observatoire. Laferière est venu me voir pour l’organisation du poste des boissons chambres, et je suis allé jusqu’au poste voir les récipients. Rentré vers 17h.
Reçu 2 lettres de Jeanne, des 15 et 16.
Ecrit à Jeanne, à René, à Grand-Père.

Samedi 20 mars
Tournée ce matin en 1ère ligne ; hier soir, j’ai été avisé que les Allemands allongent leur champignon dans la direction d’une de nos caves dont ils pourraient crever la voute. aussi ai-je reçu l’ordre de mettre 20 fantassins et 1 sapeur de veille dans la sape ; ils sont armés de révolvers.
Dans l’après-midi, je vais voir Berthier à son poste. Je l’ai trouvé très affaissé ; il vient d’avoir une syncope et se désole de son état de fatigue. Vers 5h1/2 du soir, le Colonel me téléphone que le Capitaine Namier prendra le commandement de 5 Bataillons en remplacement du Commandent Berthier, malade. Je crois qu’il en a pour quelques temps pour se remettre. Il a été terrassé par la fatigue, due à un excès très honorable de conscience professionnelle.
Reçu un mot de René ; j’écris à son lieutenant pour lui demander ses appréciations sur son compte.
Il parait que nous allons appuyer à droite sur le secteur d’environ 150 à 200 m ; j’irai demain matin voir cela pour Vannes et le Colonel… Le Lieutenant Gautereau a été à moitié asphyxié la nuit dernière avec du charbon de bois et a dû être évacué.

Dimanche 21 mars
Visité ce matin une 1ère ligne et une partie du 5e Bataillon, sur lequel je dois appuyer probablement mardi. Rencontré le Colonel à la limite des Compagnies Maguaud et Fanjoul, et revenu avec lui par le Boyau A. Je lui ai demandé ce qu’était devenu hier le Commandant Berthier ; il parait qu’il est assez atteint, du surmenage cardiaque et nerveux, et que son rétablissement sera long ; je n’en suis pas étonné… Resté l’après-midi à mon poste, à lire et à écrire.
Temps magnifique ; les avions évoluent et se font canarder sans résultat.
Reçu ce soir une lettre de Jeanne, une de Marie, une de C. et le reçu des 11 Fr envoyés au Professeur St Thomas. Ecrit à Jeanne seulement.

Lundi 22 mars
Au moment de partir pour ma 1ère ligne, le Commandant Picard du 264 et de Vauzelle, sont venus me voir, et je n’y suis rentré avec eux que pour délimiter un peu nos fronts de demain ; car nous appuyons à droite demain matin.
J’apprends que la nuit dernière 4 zeppelins sont passées au dessus de nous allant vers Paris, puis en revenant.
Après déjeuner, je suis avisé que le Général de division va peut-être venir dans le secteur ; mais n’est allé qu’au 264. Je repars en 1ère ligne vers 9h avec Pépin. Je délimite exactement notre nouveau front et nous rentrons par le poste de Vannier qui va, parait-il être abandonné, car le Génie va en construire un plus nouveau au sud.
L’artillerie a été très active aujourd’hui du côté boche ; ma deuxième ligne a été canonnée ce matin, et pour l’après-midi, il y a eu 9 blessés aux carrières par un obus.
Reçu ce soir une lettre de René. Ecrit à Jeanne et à René.

Mardi 23 mars
La modification dans l’occupation du front a été réalisée ce matin à 7 h sans incident. Il y a eu encore ce matin des obus qui ont éclaté sur la carrière ; le sergent-major de la CHR a été tué et le « faussier » blessé.
Je suis allé voir ma 1ère ligne dans la matinée, avec Galerne ; puis après déjeuner, vers 1h1/2, le Colonel est venu à mon poste en se rendant aux tranchées ; je l’y ai accompagné. Dans le Boyau C, nous avons rencontré un Colonel anglais, avec un sous-lieutenant, un interprète  et un sous-officier qui venaient de voir la partie qu’on peut tirer des deux canons automobiles anglais, abandonnés à l’ouest de Génevrier.
Je suis rentré, après ma visite avec le Colonel, par le Boyau A.
Reçu ce soir 2 lettres de Jeanne.
On me communique, à la nuit, une note au sujet des signaux de reconnaissance de nos dirigeables ; cette note est secrète et doit être connue de tous les officiers, que je fais prévenir aussitôt par note écrite de ma main.
Le petit Bourquant est désigné pour resté en permanence au poste de secours des carrières où il y a plus de blessés que dans les tranchées.

Mercredi 24 mars
J’ai été prévenu à 7h que le Colonel Nissel serait à 7h1/2 à Ecafaut. Je suis allé dans ma première ligne où il est arrivé à 10h1/2 ; il est passé rapidement et juste au moment où les boches envoyaient des bombes sur nos tranchées ; un éclat m’a sifflé à l’oreille. Nous sommes revenus à bonne allure par le Boyau B, au dessus duquel un gros éclat est passé en ronflant. Notre promenade s’est achevé sans incident. Je suis resté l’après-midi à mon poste.
Reçu une lettre de Jeanne et une lettre du Colonel de la Flèche qui me fait connaître que les demandes de dégrèvement ont été faites en janvier ; j’en fais une tout de même sans grand espoir de la voir réussir. Ecrit à Jeanne seulement.
Payé 13.70 pour la popote du 11 au 29 inclus.
Le Général Commandant en Chef a accordé une ration de vin aux troupes pour fêter la prise de Przemysl  par les Russes.

Jeudi 25 mars
Tournée ce matin en 1ère ligne après avoir pris la liaison avec le 264, où je n’ai pas trouvé le Commandant Picard, mais de Vauzelles. revenu par le 5e  Bataillon où je n’ai pas trouvé Vannier.
La pluie m’a cloué dans mon trou toute l’après-midi. Ecrit à Jeanne, à René et au Ministre (?). Reçu une lettre de Jeanne du 22.
Voisiz m’apporte un paquet venant de Compiègne par Caillé, et contenant : 50 enveloppes – 1 pochette de papier à lettre et 50 cigares 0.075. Total 4.10.
L’Echo de Paris de ce soir confirme la mort du Général Delarue, tué dans une tranchée samedi dernier 20 mars. Je regrette profondément ce chef brave pour lui-même, prudent pour les autres, et à qui je dois certainement mon grade actuel. Entendu ce soir, vers 9h1/2 une grosse canonnade vers le Nord, loin de nous.

Vendredi 26 mars
Rien de particulier dans ma visite ce matin aux tranchées. J’ai passé l’après-midi au bureau du Colonel pour le remplacer pendant une visite qu’il est allé faire au 264 ; j’en ai profité pour faire un bridge avec Laferrièe, Dupont et Le Roy, où j’ai gagné 35 sous. Payé 4.70 à Caillé pour une commande reçue hier.
Entre 9h1/2et10h, une vingtaines de bombes sont tombées en arrière de ma 1ère ligne ; parmi ces bombes, il y avait 8 à 10 mines venant surement d’un gros minenwerfer  car je n’avais jamais entendu d’aussi fortes explosions. J’ai aussitôt demandé à l’artillerie de tirer, et le 75 a envoyé 8 coups à mélinite bien tassés.
Reçu ce soir une lettre de Jeanne, et répondu.
Fait une distribution de cigares à mon Etat-Major

Samedi 27 mars
Coup de téléphone à 7h de la Brigade me donnant rendez-vous au poste Picard, le 264. Nous avons visité ma 1ère ligne, le Colonel Niessel et moi, et avons constaté qu’on avait complètement remis en état la tranchée abimée par les bombes d’hier soir. Rentré à mon poste à 10h1/2.
Dans l’après-midi, je suis resté tranquille; une vingtaine d’obus sont tombées sur ma 1ère ligne, toujours au même endroit.
Reçu de Jeanne une lettre des 24 et 25. Ai répondu.

Dimanche 28 mars
La nuit a été entièrement calme. Tournée ce matin dans le secteur.
Je venais de rentrer à mon poste quand le Lieutenant Colonel est venu me dire d’aller le remplacer dans l’après-midi. Je me suis rendu à son bureau à 13h30, et j’ai fait un bridge avec Laferrière, Dupont et Le Roy. J’apprends que le Dr Villaine est nommé médecin aide-major, ce qui fait plaisir à tous ceux qui le connaissent.
Journée calme. Je rentre vers 5h1/2 à mon poste où je trouve 3 lettres : une de mme Jacquet, une de grand-père et une de René où il m’apprend qu’il a le galon d’élite.
On va constituer à St Crépin les pelotons d’instructions pour chef de section, et pour sous-officier. Cette mesure ne semble pas s’accorder beaucoup avec la reprise des opérations actives.
Les Boches envoient ce soir quelques coups de canon, sur notre droite, mais rien de sérieux.

Lundi 29 mars
Fait ce matin une grande tournée par ma 1ère ligne, puis par le 5e Bataillon, jusqu’au poste de commandement du sergent du 265. Je suis revenu par toute la 2e ligne du secteur 5. Cette balade m’a pris 3h1/2.
J’ai eu ce matin un homme tué, derrière un créneau où je suis passé 20 fois sans faire attention. Décidément, il faut une allée de circulation où l’on soit à l’abris de ces accidents.
Je suis resté à mon poste dans l’après-midi, sauf une petite visite aux « Buissons chaudes » que j’ai trouvé bien mal tenues. J’y retournerai mettre mon nez de temps en temps.
Reçu ce soir une lettre de Jeanne qui m’apprend que Nicolet a été tué à Mesnil les Herbus. C’est une perte qu’un officier de cette valeur ! il ne restera bientôt plus d’officiers de l’active, si la guerre se prolonge.
Ecrit à Jeanne et à Grand-père.

Mardi 30 mars
Tournée habituelle ce matin ; je constate que la 22e a gâché le travail que j’avais donné à faire ; je suis revenu par le poste Picard du 264.
Dans l’après-midi, je vais du côté du « Boisson chaude » et j’ordonne de faire un boyau pour rejoindre le boyau C.
Ensuite, je reste à mon poste, où le Capitaine Besse vient passer quelques instants après une tournée dans notre secteur. Il m’apprend que de Serrilis est Lieutenant Colonel depuis quelques jours et que les affaires de Champagne sont beaucoup plus importantes que ne le disent les communiqués. Plusieurs C.A. y sont engagés ; c’est là que le Général Delarue a été tué, ainsi que Nicolet.
Reçu une lettre de Jeanne et une de René. Répondu aux deux et écrit à Madeleine Jacquet.

Mercredi 31 mars
Tournée rapide en 1ère ligne. Je reçois la visite de Grémillard qui vient me raconter une nouvelle histoire qu’il a eu hier avec Trouanez, son chef de Compagnie, qui est un faux bonhomme dont je commence à avoir assez. Un peu après la visite de Grémillard, je reçois une lettre de Trouanez, à transmettre au Lieutenant-Colonel, et demandant une réprimande contre Grémillard. La moutarde m’a monté au nez, et j’ai mis sur la lettre un avis concluant à un changement de Compagnie pour Trouanez ; je ne veux plus voir de division à la tête d’une de mes unités. De plus, je lui ai envoyé une copie in extenso de l’avis, et en outre, je joins 2 arrêts pour ne pas avoir répondu hier à une note de service que je lui ai envoyé au sujet du passage de consigne à la 23e. Le Lieutenant est justement venu à mon poste dans l’après-midi et je lui ai raconté l’histoire. Il est décidé, soit à le mettre sous ordre à une Compagnie du 5e Bataillon, soit à le faire renvoyé à l’arrière comme incapable. J’avoue que j’ai été dur, comme je ne le suis avec personne, dans l’avis que j’ai donné. Mais avec ces hypocrites, il faut être sans pitié.
Vers5h1/2, j’ai reçu la visite de Trouanez qui est venu m’affirmer maladroitement que les griefs articulés contre lui sont faux. Je n’en crois pas un mot et je ne change rien à mes conclusions.
Reçu une lettre de « SH Le Fauconaient « au sujet de René dont il est content et une lettre de Jeanne. Ecrit à Jeanne seulement.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Avril 1915

Jeudi 1re avril
La mutation Troualez parait ce matin au rapport, il passe à la 17e ; Patti commandera la 22 et Guillas vient à la 24e.
Visite sans incident dans la matinée à ma 1ère ligne. Dans l’après-midi, je reste à mon poste, sauf une petite sortie en 2e ligne et aux Boissons Chaudes.
Reçu une lette de Jeanne et une de René. Répondu à Jeanne.

Vendredi 2 avril
Je suis prévenu à 7h que le Colonel Niessel se rend dans le secteur ; je me précipite sur ses traces, et je le trouve à ma 2e ligne en train d’examiner avec le Colonel Huyatte (?) ma défense du boyau C. Il visite toute ma ligne et s’arrête à toutes mes défenses du boyau que j’ai fait faire sans rien dire ; il les trouve bien ; d’ailleurs, il est de très bonne humeur.
Rencontré dans la tranchée de 1ère ligne le Docteur du Service de Santé du C.A.
Pas bougé dans l’après-midi.
Reçu une courte lettre de Jeanne ; répondu. J’envoie une invitation à déjeuner pour lundi au Docteur Villaine (?), qui a été promu ces jours derniers au grade de Médecin A.M. de 2ème division. J’aurai aussi Laferrière à ce déjeuner. Les invités sont priés d’apporter leur couverts.

Samedi 3 avril
Tournée rapide dans le secteur dans la matinée. Monotonie des jours qui s’écoulent tous pareils, n’apportant aucun changement à notre situation !
Dans l’après-midi, je vais aux Carrières, qui m’ont été signalées comme mal entretenues ; je vois bien qu’il y a des gravats en grande quantité, mais comment évacuer tout cela ? Je désigne un sous-officier pour diriger l’aménagement de ces carrières.
Reçu une lettre de Jeanne. Répondu.
Remis 10 Frs à Douet (?)

Dimanche 4 avril
C’est Pâques aujourd’hui, il pleut depuis hier et nous voilà de nouveau dans la boue. Une messe est dite à mon poste par le Capitaine Le Boda (?), missionnaire.
Je vais ensuite voir mes tranchées avec le Lieutenant-Colonel qui est passé au moment où j’allais partir. Les boyaux et tranchées sont dans un état dégoutant, et je rentre crotté comme un basset (?).
Après déjeuner, le Lieutenant-Colonel me téléphone pour me dire que le Colonel Niessel est passé dans les grottes de Tracy ce matin, et qu’il les a trouvé en très mauvais état d’entretien. Il a fait, parait-il, des observations désagréables à ce sujet. C’est vraiment singulier que ces grottes aient été trouvées suffisantes tant que les zouaves les ont habités, et brusquement, parce que c’est nous qui les occupons, elles deviennent mal organisées. Nous y avons cependant travaillé depuis et nous avons enlevé une certaine quantité d’ordures, mais il parait que ca ne suffit pas. Je donne des ordres pour les faire nettoyer ; je ne peux faire guère d’avantages.
Vannier (?) vient me voir malgré le mauvais temps et reste assez longtemps à mon poste à bavarder.
Reçu de Jeanne une lettre contenant le bulletin trimestriel de René ; ce bulletin est satisfaisant étant donné le peu de temps qu’il a eu pour travailler au cours du trimestre écoulé.
Il pleut dans mon poste, à certains endroits, et j’ai de petites mares sans aucun agressent (?).
J’ai laissé avant-hier 400F à Grégoire pour prendre un mandat à l’adresse de Jeanne, mais le vaguemestre ne me l’a pas encore remis. Reçu un paquet de tabac.
Pâques ! déjà huit mois que nous sommes partis ! Combien de temps encore durera cette guerre ? Comme c’est long. Mais c’est nécessaire pour abattre cette vermine de Boches.

Lundi 5 avril
Tournée ce matin dans ma boue infecte ; on me signale des bruits suspectes entendus d’un abri de chef de section en 1ère ligne.
Déjeuner de gala avec Laferrière, Villème, Dupont et Cazenavette. Menu : huitres, chou-fleur en gratin, civet de lièvre, poulet rôti – petits pois, foie gras, omelette au rhum, crème à la vanille ; 1 bouteille de Sauterne, 2 bouteilles de Pommard.
Dans l’après-midi, Vannier (?) vient faire un piquet avec moi.
Après dîner, à 9 h du soir, je vais en 1ère ligne vérifier les mesures prises pour écouter les bruits souterrains (?). Je rentre à 10h30, crotté jusqu’au cou.
Reçu 2 lettres de Jeanne, répondu d’abord par une carte postale, puis à 11h du soir par une lettre où je mets un mandat de 400 fr et une petite photo de mon poste.

Mardi 6 avril
Il pleut comme dehors dans mon poste ; cette pluie abime tout et bouleverse tous nos terrassements.
On me dit que les prétendus bruits suspects de la 1ère ligne ne sont rien ; ce sont les poilus qui tapent du pied dans la tranchée. Cependant, les observations seront confirmées cette nuit.
Je vais en 1ère ligne avec le Lieutenant-Colonel, les boyaux et les tranchées sont très sales. A mon retour, j’apprends que le Commandant Berthaud (?) est rentré.
Dans l’après-midi, je vais aux Carrières voir si les nettoyages se font. Je passe à l’aller et au retour chez Laferrière. Dupont me donne 2 ou 3 petites photos que je vais envoyer à Vannes.
Reçu ce soir une lettre de Jeanne ; je ne lui envoie qu’une carte postale.

Mercredi 7 avril
La pluie de cette nuit a traversé ma porte et j’ai dû faire une échelle tonkinoise.
Je suis allé en 1ère ligne, tout y est odieux, boyaux et tranchées ; on s’y enfonce jusqu’au dessus de la cheville.
Le Lieutenant-Colonel m’apprend que Bertin (?) et reparti, définitivement repris, au contact du secteur, d’une sorte de neurasthénie qui lui imposera un long repos. Il est de fait que le séjour ici devient fatigant quand on y est en permanence, comme y sont les Chefs de Bataillon. Cette musique des obus, sans trêve ni relâche, nous use les nerfs sans que nous y prenions garde.
Je reste à mon poste dans l’après-midi, à lire et à m’ennuyer seul..
Reçu une lettre de Jeanne les 4 et 5. Répondu en envoyant 3 petites photos.

Jeudi 8 avril
Je suis allé ce matin à ma 1ère ligne par le poste Vannier.
Cette nuit, une patrouille commandée par le Sous-Lieutenant Brand  (?) et composé de l’adjudant Vitrail (?), de 4 poilus de la 29e et d’un tirailleur est allé jeter 6 grenades sur le boyau qui prolonge le Champignon O’. Ils ont eu l’impression qu’il n’y avait personne. Le Lieutenant-Colonel va les citer à l’ordre du Régiment.  Ils auront ainsi droit à la Croix de Guerre.
Vidaillé (?) a ensuite lancé 6 pétards de cheddite sur le Champignez V (?),  et on a constaté ce matin que le beau parapet boche en sacs de terre était complètement bouleversé.
Payé 29,40 pour la popote du 24 mars au 5 avril.
En allant au poste de Talerne (?) en 2e ligne, je me suis trouvé dans la gerbe d’un obus de 77. Dans un boyau, je me suis collé contre un parapet, et toute la ferraille est passée au-dessus de ma tête, avec beaucoup de terre.
Grosse et active canonnade sur le secteur du 261 ; je crois que ce sont des 210. Jusqu’ici, nous n’avions pas encore eu une pareille musique. Est-ce une attaque à prévoir ?
Aucun courrier ce soir. J’écris à Grand-père, à Gourvenance (?) et à Jeanne. Donné 10,20 pour un mandat à prendre pour le Pr St Thomas.

Vendredi 9 avril
Visité ce matin le secteur du 5e Bataillon avec le Colonel Niessel. Je suis allé voir avant le Champignon O, qui a été bouleversé cette nuit et hier, tant par le 75 que par les pétards de cheddite que nous y avons lancé. Les chevaux de fer boches sont complètement démolis. Je ne suis rentré qu’à midi moins 10.
Dans l’après-midi, les nôtres canonnent violemment les lignes boches ; aucune réponse ou à peu près.
Le Colonel me fait appeler à 18h pour me parler d’un coup de main à tenter sur O’, avec l’appui d’une batterie d’artillerie.
Vers 9h du soir, je suis avisé par téléphone qu’une patrouille de la 24 a pénétré dans le fameux Boyau O’, n’y a trouvé personne et a rapporté une échelle que le Chef de Patrouille m’apporte ensuite au poste de Commandement. Voilà le coup de main pour lequel on me propose l’appui d’une batterie !
Reçu 2 lettres de Jeanne ; écrit à Jeanne, à René et au Pr St Thomas à qui j’envoie 10.20.

Samedi 10 avril
Rien de particulier dans la journée. Visite, comme d’habitude à ma 1ère ligne.
Après déjeuner, je me rends à la Grotte d’écafant (?) avec le Dr Dupont ; j’y suis accueilli cordialement par la popote Breteneau (?) qui m’offre un verre de Bordeaux.
A ma rentrée, je trouve un petit paquet de Jeanne et une lettre de Grand-père. Dans la soirée, je me confesse au Père Le Bovo (?), missionnaire au Canada… et Caporal.

Dimanche 11 avril
Messe et communion à 6h00. Ensuite, visite de la 1ère ligne avec le Colonel Niessel. Au cours de cette visite, l’aspirant Tromeur (?) est blessé à l’oeil par une balle, blessure grave. Il trouve encore le sang-froid de dire à Dupont qui le pensait : « dites bien au Chef de Bitry que je regrette de ne pouvoir faire avoir la patrouille dont il m’a parlé ». Il s’agissait d’une patrouille déliente (?) à faire vers le Champignon O. Je le propose pour une citation à l’ordre de l’Armée.
Vers 13h30, les Allemands ont pénétré dans la sape 9 (front du 264) ; le sergent du génie leur tire un coup de révolver, puis est allé mettre le feu au fourneau, mais le coup n’est pas parti parce que les Allemands avaient coupés les conducteurs. Les communications téléphoniques relatives à cet incident ont été transmises par mon poste parce que le fil du 264 ne fonctionne pas. L’ordre a été donné de faire sauter la sape 2 sous les tranchées boches. Mais avant, l’infanterie et l’artillerie ont ouvert un feu interne sur ces tranchées pour y retenir les occupants. La mine a explosé vers 17h30 faisant 3 entonnoirs vers la dentabule (?). Au cours du bombardement, le feu boche a cessé tout-à-fait. Un adjudant du 264 est allé seul, et sans recevoir un coup de fusil, à la tranchée boche d’où il a ramené un sous-officier prisonnier. Il parait que la tranchée était pleine de morts.
Vers 19h, tout est revenu au calme, et les Compagnies, qui avaient été alertées, ont repris leur disposition normale habituel. Mais les 1ères lignes devront être très vigilantes.
Reçu 2 lettre de Jeanne, 7 au 9. Répondu à Jeanne.

Lundi 12 avril
Le sous-officier allemand ramené hier dans nos lignes serait un vice « felwidel » de 25 ans décoré de la Croix de Feu.
Je suis allé ce matin voir la Tartacule (?) qui présente maintenant l’aspect de 3 grands trous noirs. J’ai parcouru 2 fois ma 1ère ligne ; rien ne s’y passe d’anormal. Je rencontre le Lieutenant-Colonel qui me prévient qu’il va sans doute se décider à faire sauter aussi la mine 0. Pendant le déjeuner, je suis en effet avisé que l’ordre de la mise à feu est donné au Génie ; le dispositif d’alerte est repris comme hier, vers 14h, le feu a été mis à la mine ; une patrouille de la 21 a essayé de sauter dans l’entonnoir, mais elle a dû rentrer sous les balles, laissant un homme blessé sur le plateau. Le Sous-Lieutenant Le Poetevin (?) a fait la même tentative derrière la patrouille, mais a dû rentrer immédiatement.
16h20. J’apprends que le blessé  de la patrouille est mort. C’est un soldat Le Coeur (?), de la 21e.
Je reçois aujourd’hui un Lieutenant de réserve provenant des officiers (?) de l’administration de l’intendance. Il est placé à la 29e. Comme c’est un avoué de profession, il pourra discuter « droit » avec Cazenavette.
Rien reçu de Jeanne aujourd’hui. Reçu une carte de Fainot.
Le Général Ebener a visité le secteur ; mais comme j’étais alerté, je suis resté à mon poste et je ne l’ai pas vu. Il a exprimé sa satisfaction de la tenue de nos tranchées. Jusqu’à 1h1/2 du matin, les boches ont envoyés des bombes sur mon front, par 2 et 3 à la fois. Pas de dégâts.

Mardi 13 avril
Visite au secteur ce matin. J’ai vue l’entonnoir 0 qui est sérieux.
Après déjeuner, le Colonel me téléphone de me rendre à son poste pour 14h en vue de le remplacer pour l’après-midi.
Bridge avec Laferrière et Dupont. +3.
Thé à la rentrée du Colonel, puis retour au poste.
Reçu une lettre de Jeanne des 9 et 10. Ecrit à Jeanne et à René.
Dans la nuit, encore beaucoup de bombes et de boites à mitraille dans le secteur front 2. Le front 1 n’a jamais rien de tout cela.
Je me suis couché de bonne heure malgré tout (11h), car je tombais de sommeil. Je suis prévenu dans la soirée par Besse, que je fais parti, après-demain 15, d’une commission qui se réunira à 8h à St Crépi (?) pour faire passer des examens aux candidats chefs de section. Si j’imaginais venir en Campagne pour faire parti d’une commission d’examens !

Mercredi 14 avril
Un homme de la 22e a été tué ce matin par un obus dans la tranchée en face du boyau 7. Décidément, c’est un sale coin. J’y suis passé vers 8h1/4, allant faire ma tournée de 1ère ligne… Les Boches doivent avoir en ce moment des espèces de canon de tranchées qui lancent des boites à mitraille ; on a recueilli ce matin des débris que j’ai transmis à l’artillerie à titre de moments (?).
Après déjeuner, je me suis fait couper les cheveux par le Figaro de la 23e. Coût = 1 paquet de tabac.
Rien de particulier dans l’après-midi.
Reçu une lettre de Jeanne. Répondu.